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1945 - SUR LE CHEMIN DU RETOURNous
avions d’ailleurs présumé de nos possibilités, car en raison des congères
qui compliquaient notre marche, nous avions dû nous délester de plus de dix
kilos de haricots secs en les semant sur tout le parcours entre Konstantinopel
et Gramntzfeld, (distance trente et un kilomètres). Le facteur qui avait fait
une tournée derrière nous a déclaré nous avoir suivis à la trace ! Stangue
m’avait recommandé de venir à la maison pour déjeuner comme d’habitude,
ce qui fut fait et cela me permit de faire des adieux assez brefs. Je ne vis
d’ailleurs que le patron et Frieda qui me remis un nombre impressionnant de
tartines beurrées avec chair à saucisse et un pain de seigle entier. Je
me souviens des derniers instants : mon patron me dit que la guerre n’était
pas bonne et moi je lui répondis simplement « d’accord, et cette fois
c’est à l’Allemagne d’être ‘kapout’ » Nous
rejoignons donc à Grammtzfeld les camarades de trois « Kommandos »
ainsi que notre brave gardien qui s’efforça en vain de trouver un paysan qui
consentit à se joindre à notre colonne avec un attelage qui puisse transporter
nos paquets et valises (aucun ne voulait, en effet, prêter une paire de bœufs
et un chariot et encore moins abandonner les siens à la dernière minute
sachant pertinemment qu’il ne pourrait jamais revenir, bien qu’il ne
s’agissait que d’aller jusqu’au camp de Stargard à une trentaine de kilomètres). Finalement,
avec un peu d’autorité, notre gardien obtint une paire de bœufs et un vieux
chariot dont un rayon manquait à l’une des roues. C’est alors qu’un
Polonais fut volontaire pour nous convoyer (chemin faisant celui-ci ne manqua
pas de nous déclarer qu’il n’avait pas été volontaire pour nous rendre ce
service, mais son but était de pouvoir rejoindre les Russes pour être armé et
pour revenir ensuite en « justicier » à Grammtzfeld !!). Nous
partons de Grammtzfeld vers les dix heures et arrivons sur le coup de midi à
Jacobshagen après avoir dû, maintes fois, pousser le chariot dont les roues se
bloquaient dans la neige fraîche. Le camarade Baugrand du « Kommando »
de Grammtzfeld faisait cavalier seul, car emportant des kilos de chocolat, et
quantités de paquets de cigarettes et de paquets de tabac, il s’était débrouille
pour se procurer une remorque légère de boulanger. A
Jacobshagen c’était la grande pagaille. Toutes les rues étaient encombrées
par des chariots de réfugiés entre lesquels se glissaient des groupes de
prisonniers faisant l’impossible pour se rassembler, notamment sur la place de
l’Hôtel de Ville. Je rencontre beaucoup de camarades et en
particulier Aigoud Alfred venant de Stolhzenhagen, c’est alors que nos
gardiens nous avisent que tous ceux qui le désiraient pouvaient évacuer avec
les familles de leurs employeurs… C’est
ce que fit Argout, car travaillant depuis le début de la captivité dans une même
ferme, il se trouvait être le seul homme pouvant conduire le chariot. De plus,
il savait que ce dernier était bourré de victuailles… sans parler des édredons
de plumes qui lui assuraient d’être mieux couché que dans les greniers de
paille ou de foin… sous les tuiles. Je ne devais plus le revoir. J’ai su qu’il
était rentré en France fin septembre 1945 après avoir fait un assez long séjour
à Odessa. Ma
colonne, avec notre chariot et nos deux bœufs prend le départ vers quatorze
heures pour arriver à Marienflics à dix-sept heures.
Nous
couchons dans un grenier à foin – il fait moins dix environ – après s’être
restaurer en ouvrant quelques boites de conserves prises dans nos réserves. Le
7 février
au matin – huit heures – nous reprenons la route sans avoir pu se raser ni
se laver. Nous pouvons cependant absorber un peu de café d’orge que notre
gardien a personnellement tenu à nous faire préparer dans la chaudière à
bestiaux du paysan. Plus
nous approchons de Stargard, plus la circulation se fait difficile en raison des
nombreux chariots de réfugiés et du fait des barrages anti-chars que des
pionniers allemands établissent en de nombreux points (il s’agit généralement
de profondes tranchées en chicane précédant de gros sapins disposés en
longueur et reliés entre eux). Nous pouvons voir en ces endroits la Volkstrum
creuser des trous individuels dans les fossés longeant la route afin de
constituer (comme nous l’avons constaté aux portes de Stargard) un abri
individuel pour les tireurs au bazooka anti-chars. Nous
faisons une entrée remarquée au camp de Stargard à quatorze heures, remarquée
en particulier par mon ami Dercy Maurice qui vint immédiatement me rejoindre
dans l’allée centrale afin de me mettre au courant des derniers évènements. D’après
ses renseignements, les Russes continueraient d’avancer en direction de Berlin
et notre colonne devrait repartir le lendemain même pour se diriger vers la
Baltique. Maurice ne resta qu’un court instant dans ma baraque car il était,
comme beaucoup d’autres, très occupé par la confection (avec les moyens très
limités du bord !) d’un chariot susceptible de lui permettre d’emmener
quelques vivres pour la route. Ces petits chariots étaient trés simples :
une caisse avec deux roues tirées d’un rondin de sapin et d’un liteau de
traction en forme de croix. Le
lendemain 8 février au petit jour… branle bas général. Maurice
arrive essoufflé ! « Evacuation complète du camp car les Russes
sont à proximité ». renseignements pris : une reconnaissance blindée
russe avait pénétré sur le terrain d’aviation militaire de Klutzow (distant
de quatre kilomètres du camp). A
partir de ce moment ce fut une ruée générale sur toutes les réserves du camp
(vivres et chaussures en particulier). Des russes prisonniers, normalement
rassemblés dans une enceinte spéciale du camp s’infiltrent parmi nous et récupèrent
de pleins sacs de boites de conserves jonchant le sol de nos baraques. Les
Allemands du camp sont invisibles… Adieu la discipline tracassière qu’ils
faisaient régner il y a quelque jours seulement ! Tout
le monde se débrouille… et c’est ainsi que la « mafia » du camp
(c’est à dire les policiers, les artistes, les magasiniers), ont réussi
(avec l’assentiment des Allemands sans doute !) à se procurer des
chariots à quatre roues (genre chariots de gare) pour transporter leurs
fourniments. En
ce qui me concerne j’ai fait confiance à mes épaules et à mes jambes.
J’ai disposé le plus lourd dans un sac de soldat russe, le léger étant
contenu dans une seule valise. Après
un laborieux et hétéroclite rassemblement, une longue colonne commence à
sortir du camp à douze heures… mais surprise, pour se diriger vers la route
nationale de Stettin en empruntant le chemin le plus court, c’est à dire les
marécages situés entre cette route et le stalag. C’est alors que l’inévitable
se produit : l’enlisement de tous les chariots et en particulier des
plus lourdement chargés… tels ceux de la « mafia ». C’est le
sauve qui peut et l’abandon de beaucoup de choses dans les marécages ! On
se retrouve donc sur cette fameuse route complètement absorbés par un flot de
blindés allemands et de pièces d’artillerie (certaines pièces sont
d’ailleurs déjà mises en batterie au travers de la route). Nous
devons donc marcher péniblement dans les champs longeant la route !
C’est plus que fatiguant lorsque les terrains sont détrempés, que l’on
porte un lourd sac sur le dos et que l’on a une valise au bras !! |