MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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Trajet retour
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1942 - REPRIS

Nous avons donc pris la résolution de nous éloigner au plus vite, et c’est ainsi que nous nous sommes approchés d’une certaine rame dont trois ou quatre wagons dépassaient l’extrémité d’un quai découvert. M’approchant du premiers de ces wagons, je pus me rendre compte à l’aide de ma lampe électrique camouflée, qu’il s’agissait d’un train en partance pour la Hollande. Mais j’avais à peine réalisé que mon camarade resté quelque mètres en arrière laissa échapper un « M… » de surprise. Une lampe torche venait de l’éblouir : il s’agissait d’un sous-officier allemand qui, de surveillance dans la cabine de conduite d’un camion amarré sur une plate-forme du train avait assisté à notre approche plutôt hésitante. Voyant les capotes kaki, il comprit de suite à qui il avait affaire, et nous plaça immédiatement sous la surveillance de deux soldats.

Après quelque instants, des gendarmes allemands arrivèrent et nous emmenèrent à travers la ville, jusqu’à une caserne de schupos. C’est là qu’assez bien accueillis par ces gendarmes, nous apprîmes que la rame fatale était un train de troupes en partance pour la Hollande. En particulier le wagon dont j’avais lu l’étiquette était occupé par des soldats allemands qui dormaient !!! Tragique méprise !!!

Sagement assis sur un banc disposé dans l’angle d’une grande salle où allaient et venaient bon nombre de schupos, nous sommes restaurés avec une partie des vivres que contenaient nos valises.

Puis ce fut l’arrivée de deux gardiens qui nous prirent immédiatement en charge, ponctuant leurs ordres de vociférations … bien connues. Nous nous retrouvions, hélas, dans le bain.

Après une assez longue marche dans la ville plongée dans l’obscurité (notre chemin n’était éclairé que par un falot que je tenait moi-même), nous sommes arrivés dans un décor de baraques qui devait par la suite se révéler comme étant un petit camp affecté à des « kommandos » de prisonniers français.

Après les « présentations » d’usage à l’adjudant chef du camp, qui enleva la casquette de Louis d’un revers de main magistral, ce fut une fouille en règle sous les rires des gardiens car, en enlevant en dernier ressort ma chemise, il y en avait toujours une, puisque j’en avais en effet trois l’une sur l’autre.

Sommairement vêtus, nous avons été dirigés sur une baraque ou sans qu’on le sache, dormaient des prisonniers français.

Nous avons été immédiatement enfermés dans un réduit à pommes de terre , non éclairé et très humide. Ce local était en effet piétiné à longueur de journée par des hommes de corvée chaussés des fameux sabots, qu’affectionnaient particulièrement la neige et la boue. Notre présence en ce lieu assez insolite ne tarda pas à provoquer le réveil et l’effervescence dans toute la baraque… Nombreuses furent les tartines qui, passées par les persiennes que comportait la partie haute de la porte et des cloisons, tombaient dans notre réduit.

Avec le petit jour et le réveil général, ce fut l’ouverture de notre « loge » particulière, pour être conduits dans un petit local de douche ou l’on nous permis de nous laver… très sommairement.

Sans avoir subi de mauvais traitements, nous quittons ce « kommando » dans l’après midi, avec un « guide » bien entendu !! pour réintégrer le stalag IID à Stargard.

Le voyage ne fut pas sans histoires en raison de l’affluence et du peu de trains accessibles aux civils (dans cette grande gare de Stettin, nous avions même perdu notre gardien… mais comment songer à récidiver dans de telles conditions physiques et au milieu de tout ce peuple, en redoutant aussi les nombreux contrôles dont les trains civils étaient l’objet).

Nous devions finalement atteindre Stargard pour être, dans la soirée, transférés au camp après avoir rejoint d’autres camarades qui attendaient dans une salle gardée et bien verrouillée faisant partie des annexes de la gare.

L’arrivée de notre groupe dans l’allée centrale du camp n’est bien sûr pas passée inaperçue et c’est ainsi que je fus, en particulier longuement dévisagé par un bon copain (il s’agissait de Dercif, un voisin de la banlieue de Paris, cheminot comme moi) qui attendait que je réponde à ses signes, pour avoir la certitude qu’il s’agissait bien de « Regnier » dans cet accoutrement civil !

Après quelques préliminaires, ce fut l’incarcération dans une cellule ad hoc de l’avant-camp. C’était tout d’abord une punition préventive qui ne préjugeait pas de la décision que devait prendre, à notre égard, à plus ou moins longue échéance, l’officier de justice du camp.

Notre attente ne fut pas longue. Le cinquième jour nous avons tous deux été traduits devant cet officier qui, dans notre cas, nous infligea le maximum prévu pour une évasion en civil, c’est à dire vingt-quatre jours de cellule à partir de la comparution. Cette sanction tenait compte des interrogatoires que nous avait fait subir au préalable l’officier d’enquête SS du camp.

Nous étions convenus, pour éviter toute compromission du Polonais de Brüsewitz qui m’avait aidé dans la préparation de notre évasion (compromission qui aurait été un arrêt de mort) que les vêtements civils avaient été achetés au camp par moi-même à l’occasion d’une corvée de ravitaillement, mon camarade n’ayant fait que prendre possession de ces vêtements dont il devait ignorer la provenance.

Interrogé le premier, je déclarai avoir parlé de mes intentions à « certains » prisonniers que je ne pouvais évidemment plus reconnaître et avoir aussitôt été mis en contact avec un « certain » spécialiste d’une baraque n° 2 (numéro désigné au hasard !) qui, moyennant vingt marks me fournit pantalon, vestes et casquettes… Mon camarade Louis Bernif, interrogé après moi se déchargea sur moi comme convenu (évitant ainsi toute contradiction) et notre histoire qui n’était que pure invention a été bien digérée par notre super-enquèteur [1].

Une question cependant m’avait un peu embarrassée… « Qu’étaient devenus nos vêtements militaires » ? Car, comme me le fit remarquer l’officier, la valeur de ces vêtements qui étaient censés appartenir à l’armée allemande (prise de guerre) serait décomptée des quelques pfennigs que nous touchions pour chaque semaine de travail.

Ici, nouvelle histoire, mais cette fois toute improvisée « nous étions partis à pied, en direction de Stettin avec nos vêtements civils dans des cartons. En pleine campagne et en pleine nuit nous avons changé de vêtements en laissant sur place nos tenues militaires, c’est à dire dans le taillis où nous étions cachés. A la question « sauriez vous nous conduire à ce taillis, afin de récupérer ces habits ? » il m’a été facile de répondre non, étant donné qu’il faisait nuit et qu’il nous fut par conséquent impossible de repérer les lieux.



[1] J’ai appris par la suite de la bouche même d’un camarade préposé au théâtre du camp (camarade contacté pendant quelques heures lors d’un changement de cellule pour désinfection) que la baraque n° 2 avait fait l’objet d’une fouille générale en règle qui lui avait précisément valu huit jours de cellule pour détention d’un pantalon civil.

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