|
|
1942 - REPRISNous
avons donc pris la résolution de nous éloigner au plus vite, et c’est ainsi
que nous nous sommes approchés d’une certaine rame dont trois ou quatre
wagons dépassaient l’extrémité d’un quai découvert. M’approchant du
premiers de ces wagons, je pus me rendre compte à l’aide de ma lampe électrique
camouflée, qu’il s’agissait d’un train en partance pour la Hollande. Mais
j’avais à peine réalisé que mon camarade resté quelque mètres en arrière
laissa échapper un « M… » de surprise. Une lampe torche venait de
l’éblouir : il s’agissait d’un sous-officier allemand qui, de
surveillance dans la cabine de conduite d’un camion amarré sur une
plate-forme du train avait assisté à notre approche plutôt hésitante. Voyant
les capotes kaki, il comprit de suite à qui il avait affaire, et nous plaça
immédiatement sous la surveillance de deux soldats. Après
quelque instants, des gendarmes allemands arrivèrent et nous emmenèrent à
travers la ville, jusqu’à une caserne de schupos. C’est là qu’assez bien
accueillis par ces gendarmes, nous apprîmes que la rame fatale était un train
de troupes en partance pour la Hollande. En particulier le wagon dont j’avais
lu l’étiquette était occupé par des soldats allemands qui dormaient !!!
Tragique méprise !!! Sagement
assis sur un banc disposé dans l’angle d’une grande salle où allaient et
venaient bon nombre de schupos, nous sommes restaurés avec une partie des
vivres que contenaient nos valises. Puis
ce fut l’arrivée de deux gardiens qui nous prirent immédiatement en charge,
ponctuant leurs ordres de vociférations … bien connues. Nous nous
retrouvions, hélas, dans le bain. Après
une assez longue marche dans la ville plongée dans l’obscurité (notre chemin
n’était éclairé que par un falot que je tenait moi-même), nous sommes
arrivés dans un décor de baraques qui devait par la suite se révéler comme
étant un petit camp affecté à des « kommandos » de prisonniers
français. Après
les « présentations » d’usage à l’adjudant chef du camp, qui
enleva la casquette de Louis d’un revers de main magistral, ce fut une fouille
en règle sous les rires des gardiens car, en enlevant en dernier ressort ma
chemise, il y en avait toujours une, puisque j’en avais en effet trois l’une
sur l’autre. Sommairement
vêtus, nous avons été dirigés sur une baraque ou sans qu’on le sache,
dormaient des prisonniers français. Nous
avons été immédiatement enfermés dans un réduit à pommes de terre ,
non éclairé et très humide. Ce local était en effet piétiné à longueur de
journée par des hommes de corvée chaussés des fameux sabots,
qu’affectionnaient particulièrement la neige et la boue. Notre présence en
ce lieu assez insolite ne tarda pas à provoquer le réveil et l’effervescence
dans toute la baraque… Nombreuses furent les tartines qui, passées par les
persiennes que comportait la partie haute de la porte et des cloisons, tombaient
dans notre réduit. Avec
le petit jour et le réveil général, ce fut l’ouverture de notre « loge »
particulière, pour être conduits dans un petit local de douche ou l’on nous
permis de nous laver… très sommairement. Sans
avoir subi de mauvais traitements, nous quittons ce « kommando »
dans l’après midi, avec un « guide » bien entendu !! pour réintégrer
le stalag IID à Stargard. Le
voyage ne fut pas sans histoires en raison de l’affluence et du peu de trains
accessibles aux civils (dans cette grande gare de Stettin, nous avions même
perdu notre gardien… mais comment songer à récidiver dans de telles
conditions physiques et au milieu de tout ce peuple, en redoutant aussi les
nombreux contrôles dont les trains civils étaient l’objet). Nous
devions finalement atteindre Stargard pour être, dans la soirée, transférés
au camp après avoir rejoint d’autres camarades qui attendaient dans une salle
gardée et bien verrouillée faisant partie des annexes de la gare. L’arrivée
de notre groupe dans l’allée centrale du camp n’est bien sûr pas passée
inaperçue et c’est ainsi que je fus, en particulier longuement dévisagé par
un bon copain (il s’agissait de Dercif, un voisin de la banlieue de Paris,
cheminot comme moi) qui attendait que je réponde à ses signes, pour avoir la
certitude qu’il s’agissait bien de « Regnier » dans cet
accoutrement civil ! Après
quelques préliminaires, ce fut l’incarcération dans une cellule ad hoc de
l’avant-camp. C’était tout d’abord une punition préventive qui ne préjugeait
pas de la décision que devait prendre, à notre égard, à plus ou moins longue
échéance, l’officier de justice du camp. Notre
attente ne fut pas longue. Le cinquième jour nous avons tous deux été
traduits devant cet officier qui, dans notre cas, nous infligea le maximum prévu
pour une évasion en civil, c’est à dire vingt-quatre jours de cellule à
partir de la comparution. Cette sanction tenait compte des interrogatoires que
nous avait fait subir au préalable l’officier d’enquête SS du camp. Nous
étions convenus, pour éviter toute compromission du Polonais de Brüsewitz qui
m’avait aidé dans la préparation de notre évasion (compromission qui aurait
été un arrêt de mort) que les vêtements civils avaient été achetés au
camp par moi-même à l’occasion d’une corvée de ravitaillement, mon
camarade n’ayant fait que prendre possession de ces vêtements dont il devait
ignorer la provenance. Interrogé
le premier, je déclarai avoir parlé de mes intentions à « certains »
prisonniers que je ne pouvais évidemment plus reconnaître et avoir aussitôt
été mis en contact avec un « certain » spécialiste d’une
baraque n° 2 (numéro désigné au hasard !) qui, moyennant vingt marks me
fournit pantalon, vestes et casquettes… Mon camarade Louis Bernif, interrogé
après moi se déchargea sur moi comme convenu (évitant ainsi toute
contradiction) et notre histoire qui n’était que pure invention a été bien
digérée par notre super-enquèteur [1]. Une
question cependant m’avait un peu embarrassée… « Qu’étaient
devenus nos vêtements militaires » ? Car, comme me le fit remarquer
l’officier, la valeur de ces vêtements qui étaient censés appartenir à
l’armée allemande (prise de guerre) serait décomptée des quelques pfennigs
que nous touchions pour chaque semaine de travail.
Ici, nouvelle histoire, mais cette fois toute
improvisée « nous étions partis à pied, en direction de Stettin avec
nos vêtements civils dans des cartons. En pleine campagne et en pleine nuit
nous avons changé de vêtements en laissant sur place nos tenues militaires,
c’est à dire dans le taillis où nous étions cachés. A la question « sauriez
vous nous conduire à ce taillis, afin de récupérer ces habits ? »
il m’a été facile de répondre non, étant donné qu’il faisait nuit et
qu’il nous fut par conséquent impossible de repérer les lieux. [1] J’ai appris par la suite de la bouche même d’un camarade préposé au théâtre du camp (camarade contacté pendant quelques heures lors d’un changement de cellule pour désinfection) que la baraque n° 2 avait fait l’objet d’une fouille générale en règle qui lui avait précisément valu huit jours de cellule pour détention d’un pantalon civil. |