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1942 - RETOUR AU TRAVAILAprès
avoir fait quelques centaines de mètres en suivant un chemin de terre, j’aperçus,
en hauteur, à quelques trois kilomètres environ, un clocher. C’était bien là
le village où je devais passer le reste de ma captivité. Cela
se passait donc fin juin 1942. regardant à droite et à gauche du chemin,
j’avais la certitude de ne pas être chômeur !!! Konstantinopel
qui ne comptait que trois cents âmes environ était constitué par un
groupement de petites fermes. Je devais « atterrir » chez l’un des
plus importants propriétaires, peut-être pas en superficie, mais sûrement en
tant qu’autorité administrative, puisqu’il était précisément le
maire-conseil, si je puis dire (c’est à dire l’ancien maire qui, trop âgé,
avait été victime du rajeunissement des cadres ordonné par Hitler). Mon
nouveau patron, le sieur « Stangue », soixante quinze ans, ancien
combattant de Verdun exploitait cette propriété avec sa femme Frieda, ses deux
nièces, Yomgart, dix-sept ans et Ilsa treize ans, ainsi qu’une « grand-mère ».
La ferme est bien entretenue et l’intérieur de la maison d’habitation est
assez accueillant. Au
fil des jours je devais me rendre compte de la mentalité profondément nazie de
mon patron et de son caractère à la fois méticuleux et nerveux ; quand
à sa femme, c’était la brave paysanne par excellence. Le « Kommando » se composait de
treize français (en me comptant en tant que treizième), dans l’ensemble
d’assez braves garçons. Le camarade Paul Hébert était l’homme de
confiance, c’est à dire celui qui était considéré comme l’interlocuteur
et l’interprète auprès de notre gardien et du maire. Je crois pouvoir dire
que sans bouleverser les choses, nous avons réussi, en agissant adroitement,
non seulement à organiser une existence plus étroite et amicale au sein du
« Kommando », mais nous avons surtout harmonisé le travail de
chacun dans la mesure où les directives du camp nous en donnaient un certain
pouvoir. C’est ainsi, par exemple, qu’il nous fut possible d’obtenir que,
dans toutes les fermes, le prisonnier ai droit à une heure de repos à treize
heures et surtout que tous, à peu de choses près, terminent la journée de
travail à la même heure. J’avais en effet constaté à mon arrivée qu’une
lieuse tournait encore dans le décor à vingt trois heures !! C’était
pour le Français intéressé (le camarade Lenoir) une façon de fermer les yeux
de son patron sur son comportement vis-à-vis d’une Polonaise travaillant dans
la même ferme. Des mois se passèrent chez ce fermier,
relativement bien nourri, mais malgré tout avec quelques « coups de
gueule » de temps à autre. Chaque fois la patronne fut là pour apaiser
l’atmosphère. Je travaillais « dur », j’étais
assez costaud et le « chef » était, je crois, dans l’ensemble
assez satisfait de son prisonnier. De mon coté, je n’étais pas mécontent,
mais cependant il n’était pas question de sympathiser avec ce nazi
cent-pour-cent !! Hitler mi-corps grandeur nature était affiché en bonne
place au dessus de son bureau dans la salle à manger. Je feignais de tout
ignorer des évènements. Nous ne parlions jamais de la guerre, si ce n’est du
terrorisme. Il s’agissait toujours de certaines allusions du « chef »
auxquelles le prisonnier ne répondait pas. Sur
ordre de l’Etat hitlérien, il ne fallait pas mélanger les torchons et les
serviettes ! C’est pourquoi je mangeais seul avec un Polonais et plus
tard avec un russe civil, dans la cuisine, alors que la famille Stangue prenait
ses repas dans la salle à manger. Personnellement, je me félicitais de cette
discrimination que je respectais de ma propre initiative dans les champs. En été,
en effet, la collation d’une heure apportée dans un panier se prenait souvent
sur un chariot qui servait à la fois de coin de table et de siège. Mon patron
était généralement assis sur le coté, à proximité du panier, alors que
moi-même, je dégustais mes tartines à l’arrière du chariot, lui tournant
le dos ! Je
ne manquais pas une occasion de le mortifier, malgré ma naïveté toute
factice. C’est ainsi qu’entre autres, lorsque nous finissions cette
collation, mon patron sortait sa pipe qu’il bourrait avec quelque brins de
tabac. Mais certains jours, ne le voyant pas sortir sa pipe … et pour cause !…
je sortais la mienne que je bourrais négligemment … avec un paquet de gris
entier ! en lui faisant part de mon étonnement de ne pas le voir fumer. Il
me répondait, évidemment, qu’il n’avait pas de tabac !! Et
d’exprimer mon grand étonnement puisque je savais que les civils avaient une
carte de tabac !! Invariablement,
faisant une belle grimace, il me répondait ne pas vouloir fumer le papier qui
constituait la carte !! Celle-ci n’était pas honorée, tout le tabac étant
réservé pour les soldats. Alors, je lui offrais mon paquet de gris pour
bourrer sa pipe. Malgré quelques hésitations, la tentation l’emportait sur
l’amour propre… Le « chef » en effet était dans l’obligation
d’en passer par le prisonnier !!! Par
ailleurs, l’ambiance du « Kommando » était excellente et nous
sympathisions beaucoup avec les camarades d’un « Kommando »
voisin, celui de Gramnitzfeld, distant de trois kilomètres, où résidait notre
gardien militaire commun. Celui-ci
était assez « malléable » avec un esprit plutôt humoriste.
C’est ainsi que pendant une paire de mois après mon arrivée, il ne manquait
pas de venir chaque soir à Konstantinopel pour s’enquérir si « Gââbriel »
était toujours là ! L’envie
de recommencer mon évasion ne me manquait pas, mais des considérations ne
m’encourageaient pas… Tout d’abord, j’étais relativement bien dans de
nouveau « Kommando » et je risquais Rawa Ruska en cas d’insuccès.
Je sentais aussi qu’aucun de mes douze camarades ne voulait tenter sa chance
avec moi. Et puis, la gare la plus proche Stolhzahagen était assez lointaine,
huit à dix kilomètres et je ne pouvais être renseigné sur les wagons en
partance et leur destination. Je pris donc le parti d’attendre… comme tant
d’autres. Dans
un si petit « Kommando » il apparaissait très possible de bien
s’organiser pour agrémenter, dans toute la mesure du possible, un tel séjour
qui risquait, hélas, de se prolonger pendant des années. J’avais
été surpris d’apercevoir, chez mon patron, sur la cheminée de la cuisine,
des emballages de pâtes « La Lune ». J’appris que mon prédécesseur,
de même que les autres camarades, donnaient une partie de leurs colis aux
paysans, car ils n’avaient rien qui puisse leur permettre de faire eux-mêmes
une certaine cuisine dans la baraque du « Kommando ». Avec
l’assentiment de tous, nous avons récupéré une vieille cuisinière,
reconstitué le foyer avec de la terre glaise, ainsi que quelques ustensiles qui
nous permirent dès lors de préparer des repas en commun au « Kommando »
certains dimanches et fêtes. Et puis ce fut le chocolat au lait de chaque
samedi soir préparé par cet ami Letourneau. |