MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

ACCUEIL
SERVICES
1940
1940
La capture
1940
Travail en kommando
1941
1942
L'évasion
1942
Repris
1942
En cellule
1942
Retour au kommando
1942
Ils l'ont dans l'cul
Chant
1943
1943
Vie quotidienne
1943
Petite revanche
1943
Histoires de femmes
1943
Nourriture
1943
Travailler plus
1944
La Libération approche
1945
Les russes approchent
1945
Sur le chemin du retour
1945
Une brouette providentielle
1945
Sur la route
1945
La déroute
1945
Les russes arrivent
1945
Libre mais loin
1945
Les américains
1945
Le train de la liberté
19 Ko
Trajet retour
Carte 48 Ko
Les tarots
Monnaie de camp
Ecrire à l'auteur

 

1942 - RETOUR AU TRAVAIL

Après avoir fait quelques centaines de mètres en suivant un chemin de terre, j’aperçus, en hauteur, à quelques trois kilomètres environ, un clocher. C’était bien là le village où je devais passer le reste de ma captivité.

Cela se passait donc fin juin 1942. regardant à droite et à gauche du chemin, j’avais la certitude de ne pas être chômeur !!!

Konstantinopel qui ne comptait que trois cents âmes environ était constitué par un groupement de petites fermes. Je devais « atterrir » chez l’un des plus importants propriétaires, peut-être pas en superficie, mais sûrement en tant qu’autorité administrative, puisqu’il était précisément le maire-conseil, si je puis dire (c’est à dire l’ancien maire qui, trop âgé, avait été victime du rajeunissement des cadres ordonné par Hitler).

 

Mon nouveau patron, le sieur « Stangue », soixante quinze ans, ancien combattant de Verdun exploitait cette propriété avec sa femme Frieda, ses deux nièces, Yomgart, dix-sept ans et Ilsa treize ans, ainsi qu’une « grand-mère ». La ferme est bien entretenue et l’intérieur de la maison d’habitation est assez accueillant.

Au fil des jours je devais me rendre compte de la mentalité profondément nazie de mon patron et de son caractère à la fois méticuleux et nerveux ; quand à sa femme, c’était la brave paysanne par excellence.

Le « Kommando » se composait de treize français (en me comptant en tant que treizième), dans l’ensemble d’assez braves garçons. Le camarade Paul Hébert était l’homme de confiance, c’est à dire celui qui était considéré comme l’interlocuteur et l’interprète auprès de notre gardien et du maire. Je crois pouvoir dire que sans bouleverser les choses, nous avons réussi, en agissant adroitement, non seulement à organiser une existence plus étroite et amicale au sein du « Kommando », mais nous avons surtout harmonisé le travail de chacun dans la mesure où les directives du camp nous en donnaient un certain pouvoir. C’est ainsi, par exemple, qu’il nous fut possible d’obtenir que, dans toutes les fermes, le prisonnier ai droit à une heure de repos à treize heures et surtout que tous, à peu de choses près, terminent la journée de travail à la même heure. J’avais en effet constaté à mon arrivée qu’une lieuse tournait encore dans le décor à vingt trois heures !! C’était pour le Français intéressé (le camarade Lenoir) une façon de fermer les yeux de son patron sur son comportement vis-à-vis d’une Polonaise travaillant dans la même ferme.

Des mois se passèrent chez ce fermier, relativement bien nourri, mais malgré tout avec quelques « coups de gueule » de temps à autre. Chaque fois la patronne fut là pour apaiser l’atmosphère.

Je travaillais « dur », j’étais assez costaud et le « chef » était, je crois, dans l’ensemble assez satisfait de son prisonnier. De mon coté, je n’étais pas mécontent, mais cependant il n’était pas question de sympathiser avec ce nazi cent-pour-cent  !! Hitler mi-corps grandeur nature était affiché en bonne place au dessus de son bureau dans la salle à manger. Je feignais de tout ignorer des évènements. Nous ne parlions jamais de la guerre, si ce n’est du terrorisme. Il s’agissait toujours de certaines allusions du « chef » auxquelles le prisonnier ne répondait pas.

Sur ordre de l’Etat hitlérien, il ne fallait pas mélanger les torchons et les serviettes ! C’est pourquoi je mangeais seul avec un Polonais et plus tard avec un russe civil, dans la cuisine, alors que la famille Stangue prenait ses repas dans la salle à manger. Personnellement, je me félicitais de cette discrimination que je respectais de ma propre initiative dans les champs. En été, en effet, la collation d’une heure apportée dans un panier se prenait souvent sur un chariot qui servait à la fois de coin de table et de siège. Mon patron était généralement assis sur le coté, à proximité du panier, alors que moi-même, je dégustais mes tartines à l’arrière du chariot, lui tournant le dos !

Je ne manquais pas une occasion de le mortifier, malgré ma naïveté toute factice. C’est ainsi qu’entre autres, lorsque nous finissions cette collation, mon patron sortait sa pipe qu’il bourrait avec quelque brins de tabac. Mais certains jours, ne le voyant pas sortir sa pipe … et pour cause !… je sortais la mienne que je bourrais négligemment … avec un paquet de gris entier ! en lui faisant part de mon étonnement de ne pas le voir fumer. Il me répondait, évidemment, qu’il n’avait pas de tabac !! Et d’exprimer mon grand étonnement puisque je savais que les civils avaient une carte de tabac !!

Invariablement, faisant une belle grimace, il me répondait ne pas vouloir fumer le papier qui constituait la carte !! Celle-ci n’était pas honorée, tout le tabac étant réservé pour les soldats. Alors, je lui offrais mon paquet de gris pour bourrer sa pipe. Malgré quelques hésitations, la tentation l’emportait sur l’amour propre… Le « chef » en effet était dans l’obligation d’en passer par le prisonnier !!!

Par ailleurs, l’ambiance du « Kommando » était excellente et nous sympathisions beaucoup avec les camarades d’un « Kommando » voisin, celui de Gramnitzfeld, distant de trois kilomètres, où résidait notre gardien militaire commun.

Celui-ci était assez « malléable » avec un esprit plutôt humoriste. C’est ainsi que pendant une paire de mois après mon arrivée, il ne manquait pas de venir chaque soir à Konstantinopel pour s’enquérir si « Gââbriel » était toujours là !

L’envie de recommencer mon évasion ne me manquait pas, mais des considérations ne m’encourageaient pas… Tout d’abord, j’étais relativement bien dans de nouveau « Kommando » et je risquais Rawa Ruska en cas d’insuccès. Je sentais aussi qu’aucun de mes douze camarades ne voulait tenter sa chance avec moi. Et puis, la gare la plus proche Stolhzahagen était assez lointaine, huit à dix kilomètres et je ne pouvais être renseigné sur les wagons en partance et leur destination. Je pris donc le parti d’attendre… comme tant d’autres.

Dans un si petit « Kommando » il apparaissait très possible de bien s’organiser pour agrémenter, dans toute la mesure du possible, un tel séjour qui risquait, hélas, de se prolonger pendant des années.

J’avais été surpris d’apercevoir, chez mon patron, sur la cheminée de la cuisine, des emballages de pâtes « La Lune ». J’appris que mon prédécesseur, de même que les autres camarades, donnaient une partie de leurs colis aux paysans, car ils n’avaient rien qui puisse leur permettre de faire eux-mêmes une certaine cuisine dans la baraque du « Kommando ».

Avec l’assentiment de tous, nous avons récupéré une vieille cuisinière, reconstitué le foyer avec de la terre glaise, ainsi que quelques ustensiles qui nous permirent dès lors de préparer des repas en commun au « Kommando » certains dimanches et fêtes. Et puis ce fut le chocolat au lait de chaque samedi soir préparé par cet ami Letourneau.

Suite