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1940 - LE TRAVAIL EN KOMMANDOQuelque jours se passent ainsi… puis nous sommes conduits au camp où l’on procède à notre immatriculation après avoir passé sous la tondeuse (nous avons ainsi tous l’aspect de bagnards photographiés avec sous le menton une ardoise portant notre matricule – 53 177 en ce qui me concerne). Après quoi, nous ne moisissons pas et c’est immédiatement le départ
pour les « kommandos » (même les sous-officiers) [1]. Ainsi que certains camarades d’infortune avec lesquels j’avais lié
une solide amitié (je pense notamment à Louis Berny, à Jean-Jacques Girard,
à Emile Cameau). J’ai opté (mon estomac étant décisif) pour un « kommando »
de culture qui se compose d’une cinquantaine d’inscrits. Un paysan d’allure assez massive et d’humeur joviale nous rassemble et
fait le nécessaire auprès des militaires pour nous prendre en charge. Notre
groupe, compté et recompté, quitte le camp et se retrouve à la gare pour
prendre immédiatement place dans un train. Nous descendons, après une
cinquantaine de kilomètres à Barkëwitz. Après un parcours de trois kilomètres à pied, nous arrivons dans un
assez important village. Il s’agit de Brüsewitz pour être finalement
rassemblés dans la cour de l’école ; c’est là que débutera presque
immédiatement la répartition des « esclaves » entre les différents
paysans du village convoqués sans doute par avance pour cette opération. A peine arrivé, notre convoyeur (qui, nous le saurons plus tard n’est
autre que le chef des cultivateurs du village) me sépare des autres camarades,
en raison, paraît-il, de mon « gabarit » avantageux. Tous les
copains sont emmenés par leurs patrons « adoptifs », je reste seul
en croyant que le chef des cultivateurs me réserve à ses propres services. Et bien non – un vieux Polonais bancal, dernier arrivé – me fait
signe… Nous suivons donc la rue centrale du village sur quelques cinq cent mètres
pour pénétrer dans une cour de ferme ou je repère sans retard une chaudière
de pommes de terre qui me permit de prendre, avant tout, un bon acompte en
nourriture. J’en avais grand besoin, mais alors il est déjà midi et avant
tout travail on me fit signe de venir manger. Je me suis retrouvé alors seul, assis à une table placée au milieu
d’une grande salle de bal (le piano mécanique était remisé dans un coin de
la pièce) dont le plafond était garni de multiples guirlandes faites
d’oriflammes portant la croix gammée (Repère 1). J’étais en effet tombé chez le
bistrot-épicerie du village et j’ai su par la suite que la patronne qui était
la maîtresse du chef des cultivateurs (le mari étant aux armées) avait demandé
à celui-ci de lui choisir un fort gaillard susceptible, notamment, de monter au
premier étage les sacs de semoule de cent kilos qui constituaient l’une des
principales ressources de l’épicerie. L’après-midi se passe au jardin ou mon premier travail consiste à dépaissir
des carottes en compagnie de jeunes filles, l’une polonaise, déportée, de
dix-sept ans et l’autre une allemande de vingt-deux – vingt-trois ans,
toutes deux étant plus qu’attentionnées par tête du « français »
que par les carottes ! J’étais relativement bien nourri et la place ne
paraissait pas mauvaise… ! Je ne savais pas, ou plus exactement je ne voulais pas faucher ;
c’est pourquoi, au bout d’une huitaine de jours, ayant mangé mes deux
tartines du matin, l’amant de la patronne me fit signe de venir dans la salle
du café et m’offrit deux schnaps… pour me conduire ensuite à la laiterie
située à proximité immédiate du « kommando » (Repère 2 ). Ainsi, sans transition, je suis en
pleine « valse des bidons » avec le privilège de jouer le rôle
principal. Les premiers jours avec un camarade alsacien – Sémann – qui fut
libéré très rapidement et plus
tard avec Jean-Jacques Girard. C’est ainsi qu’à partir de ce jour nous
avons dû nous coltiner, chaque matin, (tous les jours y compris les dimanches
et les jours fériés, car le patron nous avait prévenus que les vaches ne
connaissaient pas le calendrier !!) neuf mille litres en moyenne. La
livraison de lait se terminait entre onze heures trente et treize heures trente
selon la saison. Quant à l’après-midi notre principal travail (après le
nettoyage de la laiterie) consistait à laver à l’eau salée les fromages en
cave (température ambiante dix huit degrés environ), véritable sinécure en
hiver (situation enviée par beaucoup de camarades, non seulement parce qu’à
l’abri du froid en hiver, mais aussi du fait de leurs lieux de travail chez
les paysans dont les fermes étaient situées pour la plupart à plusieurs kilomètres
du « kommando » installé dans le sous-sol de l’école alors que
la laiterie jouxtait celle-ci).
Les pages des repères de
l’illustration correspondent aux pages du manuscrit original Malgré cette situation relativement acceptable, mon camarade Jean-Jacques
assez déprimé supportait assez difficilement cette ambiance et bien lui en
pris car, par des moyens relevant de la ruse et de la simulation il parvint à
regagner le camp à Stargard et de là avec beaucoup d’astuce, de persévérance
et sans doute servi par la chance, il regagna la France (dès Avril je crois). Après avoir obtenu une pause d’une heure au moment du repas de midi
(ceci obtenu avec beaucoup de difficultés après trois ou quatre mois de
travail dans cette laiterie) et bénéficiant d’une heure fixée pour la fin
du travail ( dix neuf heures en été, dix huit heures en hiver), je dois
reconnaître que la place était relativement bonne si ………. Je n’avais
pas eu comme patron et comme patronne !!!! deux êtres abjects qui, sous le
couvert d’un rendement maximal pour la « Grande Allemagne » (témoin
l’écriteau placé en haut de la porte principale de la laiterie) étaient
d’une attitude plus qu’inhumaine vis à vis de leurs larbins (attitude plus
cruelle encore envers les commis allemands que vis à vis des prisonniers !). [1] C’était le 27 juin 1940 (première journée de travail à Brusewitz) Lien LES
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