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1940 DE LA CAPTURE AU CAMPCette
année au cours de laquelle se termine la « drôle de guerre » fut
marquée pour beaucoup de mobilisés par un brusque rappel à la réalité de la
vraie guerre en se trouvant mêlé à tous les tristes évènements que peut
entraîner un tel état. En
ce qui me concerne, malgré cette douce quiétude et cette quasi indépendance
que me valaient mes fonctions de chef de poste d’écoute ennemie, j’étais
terriblement conscient du péril que ce recours aux armes nous faisait encourir.
Etre tué ou blessé était en effet dans l’ordre des choses… Mais, je
n’avais pas imaginé un seul instant que je pourrais être tout simplement
« prisonnier » ! Ce
fut cependant le sort qui me fut réservé, quand, en fin d’après midi du 31
mai 1940, je fut capturé avec plusieurs millions de mes camarades à
Lambersart (faubourg de Lille) après une vingtaine de jours de retraite agrémentés
de copieux « arrosages » journaliers. Ce
jour là, à dix sept heures, je levais les bras en sortant, bien encadré, de
ce fameux dispensaire Sainte Odile pour me joindre à toute cette troupe française
désarmée que les Allemands alignaient au milieu des ruines fumantes de
Lambersart… plus précisément au milieu des rues afin d’éviter, dans tout
la mesure du possible, les chutes de matériaux provoquées par les incendies sévissant
un peu partout. Après
une pause assez longue au milieu d’un fouillis de fils électriques et téléphoniques
rompus, nous avons jeté sur les pavés nos rasoirs, nos couteaux, nos cuillères
et nos fourchettes. Enfin
cette longue colonne s’ébranle flanquée d’ Allemands à pied, baïonnette
au canon. Nous
avons ainsi traversé la ville « ouverte » de Lille pour arriver la
nuit tombante, sur le terrain de l’ancienne exposition à Lille (à proximité
de la gare) qui regorgeait déjà de camarades prisonniers… c’est poussé
par les Allemands à coup de crosse éventuellement ! que notre colonne dû
s’infiltrer dans cette cohue. Personnellement, j’ai pu occuper quelque décimètres
carrés d’une ancienne pelouse me permettant de me coucher en chien de fusil. Malgré
cet inconfort et plusieurs alertes dues à l’incursion d’avions de
reconnaissance anglais (paraît-il), cette nuit me permit, comme à beaucoup, de
récupérer un peu ; ce fut salutaire car aux premières heures du jour
commencèrent les invectives de nos gardiens pour aligner et faire prendre la
route à cet immense troupeau. A
mon tour, je sortis de cette enceinte en tête d’une colonne précédée
d’une centaine de chiens errants ; après avoir traversé le pont du
chemin de fer nous avons finalement pris la direction de Tournais. Il
fait très chaud ce 1er juin. Nous n’avons pratiquement rien à
manger ni même à boire, si ce n’est l’eau que l’on peut quelquefois
puiser au vol dans un seau disposé furtivement par un Belge au bord de la
route… avant que le récipient soit prestement renversé d’un coup de botte
par un SS fulminant ! C’est
donc dans un état assez pitoyable que j’effectue cette première journée de
marche et bien que je me sois allégé de tout ce qui ne me paraissait pas
indispensable (casque, chaussures de rechange, … etc.), mais, heureuse
inspiration, j’ai quand même eu le courage de récupérer deux boites de
cassoulet jetées par des camarades qui avaient sans doute présumés de leur résistance
physique. Nous
arrivâmes en fin de journée à Antoingt ou nous campâmes dans une école. Je
revois encore la plupart couchés dans la rue… Moi-même dans un caniveau, en
attendant sans doute que les Allemands aient organisée cette école pour nous
recevoir… Mais, qu’il fut pénible de se relever pour effecteur les quelques
derniers trois cent mètres !! Nuit
de récupération assez tranquille, passée pour ma part dans une salle, alors
que beaucoup sont restés couchés dans la cour ou sous les préaux. Dés
le matin, un roulement est organisé pour une toilette sommaire à raison de dix
par seau d’eau disposés au milieu de la cour de l’école… on se sentait
revivifié par cette courte ablution de cinq minutes sous la bonne garde de
trois mitrailleuses juchées sur la toiture-terrasse des W.C. de l’école. Rien
à manger, les chefs de colonnes nous avisant d’ailleurs que le combattant
allemand devait évidemment passer avant nous dans la distribution… mais
cependant, un peu d’eau noire, qui n’avait absolument rien d’un café fut
mise à notre disposition… c’est là que j’ai apprécié l’une des deux
boites de cassoulet que j’avais récupérées. Le
lendemain, départ pour Enghien, toujours la même cérémonie pour la formation
des colonnes. Il
fait toujours très chaud, et de nombreux camarades ont les pieds meurtris et
ensanglantés. Nos gardiens ont été remplacés, nous avons affaire à des gens
plus âgés et plus humains, aussi nous laissent-ils quémander notre nourriture
(un quart d’eau par ci, un peu de rhubarbe et même un morceau de pain graissé
par là, voire même une betterave encore très bonne malgré l’avance de la
saison, … Nos gardiens se déplacent à bicyclette et j’ai remarqué que
l’un d’entre eux avait prêté sa machine à un camarade dont les pieds étaient
en sang. Après
une courte halte à Renaix nous arrivons à Enghien ou nous sommes parqués dans
une vaste prairie, face à d’importants établissements scolaires. Nous sommes
très serrés, mais nous parvenons quand même à nous allonger. Aucun endroit
pour faire ses besoins naturels !! Je n’insiste pas sur les conséquences
d’une telle situation !! En
fin de soirée une distribution d’eau est organisée, à raison d’un quart
par homme, à partir de tonneaux qu’une corvée bien accompagnée est chargée
de remplir en faisant rouler ceux-ci jusqu’au lycée voisin. Le
lendemain matin, au petit jour, le scénario de la formation des colonnes
commence, mais cette fois, sous la direction plutôt tonitruante d’un adjudant
allemand et à grand renfort de coups de canne… à droite puis à gauche, créant
ainsi dans cette masse compacte la place nécessaire à la formation des
colonnes ordonnées permettant de compter les hommes. Après
une longue attente, la colonne dont je fais partie s’ébranle… marche
monotone sous un soleil brûlant, agrémentée de temps à autre par quelques
coups de feux, sans doute à titre de rappel à l’ordre pour certains !! Assez
tôt dans la soirée nous arrivons à Nivelle ou nous sommes dirigés sur la
prison déjà surpeuplée ! (mais qu’importe, il faut entrer … et la
majeure partie de ma colonne ira finalement échoir dans les jardins) Ainsi
parqués à l’intérieur de ces hauts murs nous sommes sans nourriture, si ce
n’est le bois et les feuilles des groseilliers, l’écorce des cerisiers et
pas la plus élémentaire hygiène. Triste situation bien sûr que je m’efforçais
de pallier dans toute la mesure du possible ; c’est ainsi qu’ayant
appris par quelques rumeurs qu’une soupe était chaque jour sortie par les
Allemands dans la cour d’entrée de la prison, je décidais de parvenir à
cette cour pour profiter si possible de cette pitance. J’abandonnais donc mes
camarades et après de multiples péripéties et plusieurs heures d’efforts et
de gymnastique, je parvins au but alors qu’une distribution de soupe était en
cours ; un casque récupéré dans un coin me servit de gamelle et les
Allemands me firent bonne mesure ! il ne me fut plus possible de retourner
dans les jardins prévenir mes camarades que je n’ai d’ailleurs plus revus
et c’est ainsi que j’ai également perdu les quelques affaires personnelles
que j’avais réussi, malgré la fatigue, à conserver jusque là. Le
quatrième jour, je crois au matin, je fus inclus dans une colonne qui devait
embarquer pour une destination inconnue… évidemment. Nous
sommes entassés dans des wagons à bestiaux (volets obturés par des barbelés)
à raison de soixante par wagons. Dans le mien nous étions en fait soixante
quatre… des copains qui n’ont pas voulu se séparer… et qui ne veulent pas
l’avouer ! Nous ne pouvons que nous asseoir… à tour de rôle bien
entendu. Il n’est guère possible de dormir. Le
jour suivant le train s’arrête dans une gare belge de moyenne importance où
nos gardiens, après avoir ouvert toutes les portes des wagons nous permettent
de faire nos besoins dans le décor environnant sans toutefois dépasser
l’enceinte du chemin de fer. Des sentinelles sont d’ailleurs postées à la
limite des remblais. Comme
beaucoup, je mets à profit cette possibilité de détente et je pense aussi au
ravitaillement car il n’est pas question de faire une distribution de soupe
dans le train. Beaucoup
se contentent de pelures de pamplemousse que les soldats allemands ont jetés du
train, ces détritus voisinant avec les excréments qui tapissent le sol. Quand
à moi, à la faveur d’un moment d’inattention d’une sentinelle, je pus
gagner un petit bois de peupliers et me rendre à proximité de deux maisons
isolées ou une brave femme me remit, en se cachant, deux tartines de graisse ;
je serais franc en disant qu’entendant tout à coup le train siffler …
c’est au pas de course que je suis revenu afin de ne pas le manquer !!! C’est
paradoxal, mais il faut dire que les Belges, avertis des représailles éventuelles
qu’ils pourraient encourir, ne voulaient absolument pas se risquer à cacher
un prisonnier ou aider celui-ci à se travestir pour s’évader plus
facilement. Ainsi
donc le train repart et après plusieurs haltes il s’arrête définitivement
non loin de la frontière hollandaise. Nous débarquons et reprenons la route en
une longue colonne. Nous traversons la ville de Maëstricht pour aboutir dans un
camp aménagé provisoirement par les Allemands à la sortie de l’agglomération.
Ce camp traversé par une petite rivière nous permit de prendre un bain de
propreté qui en même temps fut très salutaire pendant cette période de
chaleur, ceci sous la bonne garde de trois mitrailleuses. Une
distribution est effectuée, à raison d’un morceau de lard gras ou de pâté
de poisson et de huit petits biscuits par homme. Comme beaucoup, j’ai bénéficié
d’une ration supplémentaire de lard – celle d’un camarade – échangée
contre le morceau de pâté qui était infect. C’est
encore à pied que nous accomplissons la distance séparant Maëstricht
d’Aix-la-Chapelle. Là, nous embarquons à nouveau dans des wagons de
marchandises d’où venaient sans doute de débarquer des troupes allemandes.
Sur ce dernier parcours, il nous fût pénible de constater que les verres de
sirop servis par les habitants à nos sentinelles furent également offerts par
les Hollandais !! lesquels n’avaient pas hésiter à pavoiser avec des
drapeaux nazis à croix gammée… mais en laissant cependant les volets fermés ! A
noter qu’avant notre embarquement à Aix-la-Chapelle une visite médicale a été
effectuée sur le terrain de sport et des soins furent prodigués à bon nombre
d’entre nous dont les pieds étaient meurtris. Le
lendemain (ou le surlendemain) notre train stoppa dans une petite gare ou nous
avons débarqué au milieu des vociférations des soldats allemands. J’avais
remarqué que nous étions passés par Osnabrück et que nous devions nous
trouver dans le Haut Hanovre – paysage monotone balayé par un vent très
violent, au sol marécageux avec pour toute végétation quelque maigres
bouleaux. En
réalité nous n’étions pas très loin de la Baltique, dans une région où
la tourbe avait fait l’objet de véritables champs d’exploitation, la main
d’œuvre étant fournie par de nombreux juifs allemands répartis en de
multiples camps de travail tous réunis par une voie ferrée de 0,60 mètre. C’est
notamment en suivant cette voie ferrée (ceci pour éviter dans toute la mesure
du possible de marcher dans l’eau rouillée recouvrant le sol tourbeux) que
nous apercevons dans le lointain la haute cheminée carrée du four crématoire
du premier camp ou nous avons passé la nuit. Nous
avons donc cheminé d’un camp à un autre en faisant ainsi la connaissance de
cinq camps successifs avant d’être à nouveau ré-embarqués dans des wagons
à bestiaux. Bien
entendu tous ces camps avaient été évacués au préalable par les juifs et
nous prenons quelquefois leurs places pour extraire de la tourbe, soit du simple
gravier destiné à prendre la place de la tourbe dans les parties agrandies du
camp. Dans
un de ces camps, en plus de la traditionnelle soupe aux orties, il y eu une
distribution d’un morceau de pain par homme. Mais en fait nous eûmes à déplorer
une navrante histoire de vol de pain. Un pauvre type plus affamé que les autres
n’avait pensé qu’à son estomac en volant le morceau de pain du copain que
celui-ci avait momentanément laissé à sa place dans le baraque, en le
recouvrant simplement de quelques nippes. Nous
constatons que les Alsaciens, dont la plupart font office d’interprètes, sont
particulièrement bien considérés par nos gardiens ! Chaque
rassemblement donne l’occasion aux Allemands de s’approprier certaines
choses que nous possédons encore (montres, stylos, surtout les canadiennes - en
particulier un bon copain Jean-Paul Girard en sera la victime) et bon nombre
d’autres articles leur paraissant intéressants. Arrive
enfin le jour ou nous voyons réapparaître un train ! L’embarquement
est prestement fait à grand renfort de coups de crosse ! les portes sont
fermées te verrouillées. Le
train s’ébranle. Après quatre ou cinq jours de voyage… si l’on peut
ainsi s’exprimer ! comportant cependant quelques arrêts en rase campagne
avec distribution de soupe, nous arrivons au petit jour en gare de Stargard
(Poméranie). Nous
étions bien attendus !!! A peine le train venait-il de stopper que les
portes étaient ouvertes, les occupants éjecté à coups de crosse (les plus
« gâtés » furent ceux qui s’attardèrent à chercher leurs
chaussures qu’ils avaient crû bon de quitter pour se délasser les pieds. Les
coups de crosse ne cessent de pleuvoir, notamment dans les escaliers de descente
du passage souterrain et dans la cour de la gare ou nous sommes alignés par dix
ou douze. La
foule est maintenue à distance par des barricades et quelques policiers, mais
les gosses nous attendent sur la route menant au camp, à son passage sous un
pont ferroviaire assez étroit. Là c’est à celui qui pourra cracher en
pleine figure d’un prisonnier. Heureusement qu’ils ne peuvent saliver
suffisamment rapidement. La tête de colonne fut donc ainsi la plus « favorisée ». Le
camp [1]
est situé face à une grande caserne, à environ deux kilomètres et demi de la
gare. La colonne s’étire au milieu de la chaussée (toute circulation
interrompue) les fenêtres des villas situées de part et d’autre étant
garnies de spectateurs au large sourire. Notre arrivée se fait tout d’abord
à la caserne où nous sommes parqués dans des garages contigus aux grands
immeubles qui composent cette caserne. Dans ces garages nous n’avons pratiquement rien à faire, si ce n’est de chercher ses poux ! Et de demeurer en rangs des heures entières, notamment pour la distribution de la soupe, un bouthéon pour vingt hommes, ce récipient étant placé à proximité de chaque groupe vers les onze heures, la distribution de soupe ne commençant jamais avant seize heures !! Liens Exécution
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