MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1940 DE LA CAPTURE AU CAMP

Cette année au cours de laquelle se termine la « drôle de guerre » fut marquée pour beaucoup de mobilisés par un brusque rappel à la réalité de la vraie guerre en se trouvant mêlé à tous les tristes évènements que peut entraîner un tel état.

En ce qui me concerne, malgré cette douce quiétude et cette quasi indépendance que me valaient mes fonctions de chef de poste d’écoute ennemie, j’étais terriblement conscient du péril que ce recours aux armes nous faisait encourir. Etre tué ou blessé était en effet dans l’ordre des choses… Mais, je n’avais pas imaginé un seul instant que je pourrais être tout simplement « prisonnier » !

 

Ce fut cependant le sort qui me fut réservé, quand, en fin d’après midi du 31 mai 1940, je fut capturé avec plusieurs millions de mes camarades à Lambersart (faubourg de Lille) après une vingtaine de jours de retraite agrémentés de copieux « arrosages » journaliers.

Ce jour là, à dix sept heures, je levais les bras en sortant, bien encadré, de ce fameux dispensaire Sainte Odile pour me joindre à toute cette troupe française désarmée que les Allemands alignaient au milieu des ruines fumantes de Lambersart… plus précisément au milieu des rues afin d’éviter, dans tout la mesure du possible, les chutes de matériaux provoquées par les incendies sévissant un peu partout.

Après une pause assez longue au milieu d’un fouillis de fils électriques et téléphoniques rompus, nous avons jeté sur les pavés nos rasoirs, nos couteaux, nos cuillères et nos fourchettes.

Enfin cette longue colonne s’ébranle flanquée d’ Allemands à pied, baïonnette au canon.

Nous avons ainsi traversé la ville « ouverte » de Lille pour arriver la nuit tombante, sur le terrain de l’ancienne exposition à Lille (à proximité de la gare) qui regorgeait déjà de camarades prisonniers… c’est poussé par les Allemands à coup de crosse éventuellement ! que notre colonne dû s’infiltrer dans cette cohue. Personnellement, j’ai pu occuper quelque décimètres carrés d’une ancienne pelouse me permettant de me coucher en chien de fusil.

Malgré cet inconfort et plusieurs alertes dues à l’incursion d’avions de reconnaissance anglais (paraît-il), cette nuit me permit, comme à beaucoup, de récupérer un peu ; ce fut salutaire car aux premières heures du jour commencèrent les invectives de nos gardiens pour aligner et faire prendre la route à cet immense troupeau.

A mon tour, je sortis de cette enceinte en tête d’une colonne précédée d’une centaine de chiens errants ; après avoir traversé le pont du chemin de fer nous avons finalement pris la direction de Tournais.

 

Il fait très chaud ce 1er juin. Nous n’avons pratiquement rien à manger ni même à boire, si ce n’est l’eau que l’on peut quelquefois puiser au vol dans un seau disposé furtivement par un Belge au bord de la route… avant que le récipient soit prestement renversé d’un coup de botte par un SS fulminant !

C’est donc dans un état assez pitoyable que j’effectue cette première journée de marche et bien que je me sois allégé de tout ce qui ne me paraissait pas indispensable (casque, chaussures de rechange, … etc.), mais, heureuse inspiration, j’ai quand même eu le courage de récupérer deux boites de cassoulet jetées par des camarades qui avaient sans doute présumés de leur résistance physique.

Nous arrivâmes en fin de journée à Antoingt ou nous campâmes dans une école. Je revois encore la plupart couchés dans la rue… Moi-même dans un caniveau, en attendant sans doute que les Allemands aient organisée cette école pour nous recevoir… Mais, qu’il fut pénible de se relever pour effecteur les quelques derniers trois cent mètres !!

 

Nuit de récupération assez tranquille, passée pour ma part dans une salle, alors que beaucoup sont restés couchés dans la cour ou sous les préaux.

Dés le matin, un roulement est organisé pour une toilette sommaire à raison de dix par seau d’eau disposés au milieu de la cour de l’école… on se sentait revivifié par cette courte ablution de cinq minutes sous la bonne garde de trois mitrailleuses juchées sur la toiture-terrasse des W.C. de l’école.

Rien à manger, les chefs de colonnes nous avisant d’ailleurs que le combattant allemand devait évidemment passer avant nous dans la distribution… mais cependant, un peu d’eau noire, qui n’avait absolument rien d’un café fut mise à notre disposition… c’est là que j’ai apprécié l’une des deux boites de cassoulet que j’avais récupérées.

 

Le lendemain, départ pour Enghien, toujours la même cérémonie pour la formation des colonnes.

Il fait toujours très chaud, et de nombreux camarades ont les pieds meurtris et ensanglantés. Nos gardiens ont été remplacés, nous avons affaire à des gens plus âgés et plus humains, aussi nous laissent-ils quémander notre nourriture (un quart d’eau par ci, un peu de rhubarbe et même un morceau de pain graissé par là, voire même une betterave encore très bonne malgré l’avance de la saison, … Nos gardiens se déplacent à bicyclette et j’ai remarqué que l’un d’entre eux avait prêté sa machine à un camarade dont les pieds étaient en sang.

Après une courte halte à Renaix nous arrivons à Enghien ou nous sommes parqués dans une vaste prairie, face à d’importants établissements scolaires. Nous sommes très serrés, mais nous parvenons quand même à nous allonger. Aucun endroit pour faire ses besoins naturels !! Je n’insiste pas sur les conséquences d’une telle situation !!

En fin de soirée une distribution d’eau est organisée, à raison d’un quart par homme, à partir de tonneaux qu’une corvée bien accompagnée est chargée de remplir en faisant rouler ceux-ci jusqu’au lycée voisin.

 

Le lendemain matin, au petit jour, le scénario de la formation des colonnes commence, mais cette fois, sous la direction plutôt tonitruante d’un adjudant allemand et à grand renfort de coups de canne… à droite puis à gauche, créant ainsi dans cette masse compacte la place nécessaire à la formation des colonnes ordonnées permettant de compter les hommes.

Après une longue attente, la colonne dont je fais partie s’ébranle… marche monotone sous un soleil brûlant, agrémentée de temps à autre par quelques coups de feux, sans doute à titre de rappel à l’ordre pour certains !!

Assez tôt dans la soirée nous arrivons à Nivelle ou nous sommes dirigés sur la prison déjà surpeuplée ! (mais qu’importe, il faut entrer … et la majeure partie de ma colonne ira finalement échoir dans les jardins)

Ainsi parqués à l’intérieur de ces hauts murs nous sommes sans nourriture, si ce n’est le bois et les feuilles des groseilliers, l’écorce des cerisiers et pas la plus élémentaire hygiène. Triste situation bien sûr que je m’efforçais de pallier dans toute la mesure du possible ; c’est ainsi qu’ayant appris par quelques rumeurs qu’une soupe était chaque jour sortie par les Allemands dans la cour d’entrée de la prison, je décidais de parvenir à cette cour pour profiter si possible de cette pitance. J’abandonnais donc mes camarades et après de multiples péripéties et plusieurs heures d’efforts et de gymnastique, je parvins au but alors qu’une distribution de soupe était en cours ; un casque récupéré dans un coin me servit de gamelle et les Allemands me firent bonne mesure ! il ne me fut plus possible de retourner dans les jardins prévenir mes camarades que je n’ai d’ailleurs plus revus et c’est ainsi que j’ai également perdu les quelques affaires personnelles que j’avais réussi, malgré la fatigue, à conserver jusque là.

 

Le quatrième jour, je crois au matin, je fus inclus dans une colonne qui devait embarquer pour une destination inconnue… évidemment.

Nous sommes entassés dans des wagons à bestiaux (volets obturés par des barbelés) à raison de soixante par wagons. Dans le mien nous étions en fait soixante quatre… des copains qui n’ont pas voulu se séparer… et qui ne veulent pas l’avouer ! Nous ne pouvons que nous asseoir… à tour de rôle bien entendu. Il n’est guère possible de dormir.

Le jour suivant le train s’arrête dans une gare belge de moyenne importance où nos gardiens, après avoir ouvert toutes les portes des wagons nous permettent de faire nos besoins dans le décor environnant sans toutefois dépasser l’enceinte du chemin de fer. Des sentinelles sont d’ailleurs postées à la limite des remblais.

 

Comme beaucoup, je mets à profit cette possibilité de détente et je pense aussi au ravitaillement car il n’est pas question de faire une distribution de soupe dans le train.

Beaucoup se contentent de pelures de pamplemousse que les soldats allemands ont jetés du train, ces détritus voisinant avec les excréments qui tapissent le sol. Quand à moi, à la faveur d’un moment d’inattention d’une sentinelle, je pus gagner un petit bois de peupliers et me rendre à proximité de deux maisons isolées ou une brave femme me remit, en se cachant, deux tartines de graisse ; je serais franc en disant qu’entendant tout à coup le train siffler … c’est au pas de course que je suis revenu afin de ne pas le manquer !!!

C’est paradoxal, mais il faut dire que les Belges, avertis des représailles éventuelles qu’ils pourraient encourir, ne voulaient absolument pas se risquer à cacher un prisonnier ou aider celui-ci à se travestir pour s’évader plus facilement.

 

Ainsi donc le train repart et après plusieurs haltes il s’arrête définitivement non loin de la frontière hollandaise. Nous débarquons et reprenons la route en une longue colonne. Nous traversons la ville de Maëstricht pour aboutir dans un camp aménagé provisoirement par les Allemands à la sortie de l’agglomération. Ce camp traversé par une petite rivière nous permit de prendre un bain de propreté qui en même temps fut très salutaire pendant cette période de chaleur, ceci sous la bonne garde de trois mitrailleuses.

Une distribution est effectuée, à raison d’un morceau de lard gras ou de pâté de poisson et de huit petits biscuits par homme. Comme beaucoup, j’ai bénéficié d’une ration supplémentaire de lard – celle d’un camarade – échangée contre le morceau de pâté qui était infect.

C’est encore à pied que nous accomplissons la distance séparant Maëstricht d’Aix-la-Chapelle. Là, nous embarquons à nouveau dans des wagons de marchandises d’où venaient sans doute de débarquer des troupes allemandes. Sur ce dernier parcours, il nous fût pénible de constater que les verres de sirop servis par les habitants à nos sentinelles furent également offerts par les Hollandais !! lesquels n’avaient pas hésiter à pavoiser avec des drapeaux nazis à croix gammée… mais en laissant cependant les volets fermés !

A noter qu’avant notre embarquement à Aix-la-Chapelle une visite médicale a été effectuée sur le terrain de sport et des soins furent prodigués à bon nombre d’entre nous dont les pieds étaient meurtris.

 

Le lendemain (ou le surlendemain) notre train stoppa dans une petite gare ou nous avons débarqué au milieu des vociférations des soldats allemands. J’avais remarqué que nous étions passés par Osnabrück et que nous devions nous trouver dans le Haut Hanovre – paysage monotone balayé par un vent très violent, au sol marécageux avec pour toute végétation quelque maigres bouleaux.

En réalité nous n’étions pas très loin de la Baltique, dans une région où la tourbe avait fait l’objet de véritables champs d’exploitation, la main d’œuvre étant fournie par de nombreux juifs allemands répartis en de multiples camps de travail tous réunis par une voie ferrée de 0,60 mètre.

C’est notamment en suivant cette voie ferrée (ceci pour éviter dans toute la mesure du possible de marcher dans l’eau rouillée recouvrant le sol tourbeux) que nous apercevons dans le lointain la haute cheminée carrée du four crématoire du premier camp ou nous avons passé la nuit.

Nous avons donc cheminé d’un camp à un autre en faisant ainsi la connaissance de cinq camps successifs avant d’être à nouveau ré-embarqués dans des wagons à bestiaux.

Bien entendu tous ces camps avaient été évacués au préalable par les juifs et nous prenons quelquefois leurs places pour extraire de la tourbe, soit du simple gravier destiné à prendre la place de la tourbe dans les parties agrandies du camp.

Dans un de ces camps, en plus de la traditionnelle soupe aux orties, il y eu une distribution d’un morceau de pain par homme. Mais en fait nous eûmes à déplorer une navrante histoire de vol de pain. Un pauvre type plus affamé que les autres n’avait pensé qu’à son estomac en volant le morceau de pain du copain que celui-ci avait momentanément laissé à sa place dans le baraque, en le recouvrant simplement de quelques nippes.

Nous constatons que les Alsaciens, dont la plupart font office d’interprètes, sont particulièrement bien considérés par nos gardiens !

Chaque rassemblement donne l’occasion aux Allemands de s’approprier certaines choses que nous possédons encore (montres, stylos, surtout les canadiennes - en particulier un bon copain Jean-Paul Girard en sera la victime) et bon nombre d’autres articles leur paraissant intéressants.

 

Arrive enfin le jour ou nous voyons réapparaître un train !

L’embarquement est prestement fait à grand renfort de coups de crosse ! les portes sont fermées te verrouillées.

Le train s’ébranle. Après quatre ou cinq jours de voyage… si l’on peut ainsi s’exprimer ! comportant cependant quelques arrêts en rase campagne avec distribution de soupe, nous arrivons au petit jour en gare de Stargard (Poméranie).

Nous étions bien attendus !!! A peine le train venait-il de stopper que les portes étaient ouvertes, les occupants éjecté à coups de crosse (les plus « gâtés » furent ceux qui s’attardèrent à chercher leurs chaussures qu’ils avaient crû bon de quitter pour se délasser les pieds.

Les coups de crosse ne cessent de pleuvoir, notamment dans les escaliers de descente du passage souterrain et dans la cour de la gare ou nous sommes alignés par dix ou douze.

La foule est maintenue à distance par des barricades et quelques policiers, mais les gosses nous attendent sur la route menant au camp, à son passage sous un pont ferroviaire assez étroit. Là c’est à celui qui pourra cracher en pleine figure d’un prisonnier. Heureusement qu’ils ne peuvent saliver suffisamment rapidement. La tête de colonne fut donc ainsi la plus « favorisée ».

Le camp [1] est situé face à une grande caserne, à environ deux kilomètres et demi de la gare. La colonne s’étire au milieu de la chaussée (toute circulation interrompue) les fenêtres des villas situées de part et d’autre étant garnies de spectateurs au large sourire. Notre arrivée se fait tout d’abord à la caserne où nous sommes parqués dans des garages contigus aux grands immeubles qui composent cette caserne.

Dans ces garages nous n’avons pratiquement rien à faire, si ce n’est de chercher ses poux ! Et de demeurer en rangs des heures entières, notamment pour la distribution de la soupe, un bouthéon pour vingt hommes, ce récipient étant placé à proximité de chaque groupe vers les onze heures, la distribution de soupe ne commençant jamais avant seize heures !!



[1] Il s’agissait du stalag II D.

 

Suite


Liens

Exécution sommaire d’un prisonnier
Le récit d’un prêtre
www.faux-villecerf.net/histoire_faux/ souvenirs_gabriel/souvenirs_de_guerre2.htm

Guerre et Paix - Projet Mémoire
Les souvenirs d’un prisonnier canadien entre la capture et l’arrivée au stalag www.thememoryproject.com/peace_fr/ peace_grant_prisonerofwar_fr.cfm

Carte des camps
et de nombreux autres documents
geogate.geographie.uni-marburg.de/parser/ parser.php?file=/deuframat/francais/3/3_2/sawala/kap_1.htm

Liste des camps
www.moosburg.org/info/stalag/laglist.html -