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1945 - UNE BROUETTE PROVIDENTIELLENotre
colonne se trouva stoppée dans la traversée de la petite bourgade de Maduzée,
à proximité immédiate d’une colonne de camions allemands déjà, elle
aussi, stoppée sans doute pour la même cause. Je
profitais de cet arrêt qui paraissait se prolonger pour décrocher mon sac en
l’appuyant sur le capot de l’un des camions… puis je cherchais quelque
cigarettes et du chocolat. Mes gestes avaient été suivis par un soldat
allemand qui avait sans doute compris que j’étais assez fatigué !
C’est alors que, sans explication, il me fit signe de le suivre dans le jardin
de la propriété voisine…et me montra, remisée dans un petit cabanon, une
espèce de brouette dont on apercevait seulement les brancards dressés au
milieu d’objets divers. Avec le concours de cet allemand, je réussi à dégager
cette brouette de maçon pour m’apercevoir… trois fois hélas, que la roue,
constitué par un feuillard métallique et des rayons rivés, était à la
limite d’usure… Ce providentiel soldat allemand s’en était bien, lui
aussi, rendu compte. Aussi ne tarda t-il pas à m’apporter un avant train de
chariot « type alsacien » qui, placé sous la brouette (le timon
maintenu, à l’aide de mon ceinturon, à la ferme transversale constituait les
pieds de la brouette) permit à celle-ci de rouler ! Cela valait bien un
paquet de cigarettes américaines et une barre de chocolat américain !
C’est sans doute ce que ce militaire attendait de moi. A
partir de ce moment, je me sentis plus confiant, et j’arrivais sans trop de
fatigue dans le petit village de Brandebourg, ou je devais terminer cette première
étape à seize heures. Deuxième
nuit passée dans la paille après nous être restaurés
tant bien que mal, avec nos conserves et des pommes de terre réquisitionnées
à notre intention, nous partons en direction de Stettin le 9 février
à huit heures pour faire halte à Carow (banlieue de Stettin) à dix sept
heures. Nous
ne repartons de Carow que le 17 février à huit heures. J’ai
tout de suite été sollicité par deux camarades pour profiter de la brouette,
ce que je ne pouvais refuser, à condition qu’ils tirent le chargement au
moyen d’une corde fixée à l’avant. Les chemins empruntés étaient très
mal pavés, et les fusées des deux roues eurent à en souffrir. C’est tout
juste si je pus néanmoins terminer l’étape en allégeant un peu la brouette.
Enfin la colonne stoppa à Hohenfeld à seize heures trente. A
l’arrivée, ma première occupation fut de faire une réparation de fortune
avec des accessoires de robinetterie trouvés chez un plombier serrurier du
village. Je finis assez tard et la plupart des camarades avaient mangé et étaient
déjà couchés dans le foin. Après avoir absorbé une gamelle de soupe que
m’avaient laissée les camarades de mon petit groupe, je dû renoncer à les
rejoindre dans le grenier, car sans lumière j’aurais écrasé bon nombre de
« ventres ». Aussi j’ai pris la résolution de m’allonger dans
la mangeoire des vaches. Ce n’était pas plus mal, car j’étais au chaud
bien que je me serais passé des coups de langue que me donnaient de temps en
temps les vaches, étonnées sans doute de voir devant-elles ce gros paquet de
linge. Départ
de Hohenfeld le 12 février à huit heures trente ; nous
stoppons à Cazelow à quinze heures trente, où nous aurons le temps de bien
nous restaurer et de se préparer un bon trou dans la paille pour avoir le plus
chaud possible au cours de la nuit. Départ
de Cazelow le 13 février à huit heures. Notre colonne contourne
Prenslau pour s’arrêter dans le petit village de Mecklinn. C’est là que,
profitant de l’accord d’un maréchal-ferrant, j’utilisais son atelier pour
perfectionner ma brouette et pour parfaire la réparation de fortune faite à
Hohenfeld. Je
commençais par supprimer la propre roue de la brouette, puisque plus gênante
qu’autre chose, et je disposais à sa place un espèce de bouclier en tôle
qui, chargé, devait me permettre d’équilibrer la charge sur les deux roues médianes.
A l’expérience, l’idée s’avéra concluante ; dés lors mon rôle se
limita à guider la brouette et non plus à porter une partie du chargement. Nous
ne repartons de Mecklin que le 15 février à huit heures, après
un repos de vingt quatre heures. La
colonne fait étape à Schenchauss, plus précisément dans les bâtiments
agricoles d’une grosse ferme ; nous prenons soi-disant la succession de
multiples colonnes de prisonniers russes… Des immondices partout… Des
choux-raves pourris notamment et bien d’autres déjections ou excréments
aussi bien à l’intérieur des bâtiments qu’à l’extérieur. La
nuit vite venue complique la situation et il n’est pas possible de pouvoir
trouver un coin pour pouvoir se reposer. A la faveur de l’obscurité notre
petit groupe décide d’atteindre un hangar que nous avions repéré dès notre
arrivée, à quelques cinq cents mètres de la ferme, en plein champ. Ce hangar,
partiellement fermé sur les cotés, est rempli de paille d’orge non battue
(la batteuse est restée à proximité du hangar), toute la surface étant
couverte d’une mince couche de neige. Qu’importe, il vaut encore mieux
dormir dans de hangar d’orge humide, que d’être dans les conditions
infectes que je viens de citer. Assez
proche de ce hangar se trouve une ancienne petite carrière de sable, dans
laquelle, parmi quelques buissons se trouvent encore quelques wagonnets sur éléments
de voie de soixante. J’eu l’idée de profiter de ce relatif isolement pour
essayer de reforger l’axe des deux roues de ma brouette, car j’avais, au
cours de l’étape, préjugé de la charge que pouvait supporter celui-ci (j’étais
en effet très souvent sollicité pour décharger certains camarades vraiment à
bout de souffle. Comment refuser ?). J’allumais
un feu de bois mort dans l’un des wagonnets renversés, me servant ainsi
d’abri contre le vent… Car la Baltique se fait sentir. C’est alors
qu’alerté par les camarades qui s’organisaient sous le hangar, je réalisais
que nos gardiens tiraient dans ma direction, pour me faire comprendre d’éteindre
ce feu qui pouvait constituer un point de repère pour l’aviation ennemie. |