1945 - LES RUSSES APPROCHENT
Départ du camp
Le
mois de janvier se passa dans l’attente du dénouement.
Au
cours de la dernière semaine, la plupart des camarades durent participer à
l’évacuation et à la répartition des réfugiés allemands venant de la zone
de combat (personnellement j’étais exempté de cette corvée puisque je
passais pour ne pas savoir conduire les chevaux).
Ces
transports par traîneaux de femmes, d’enfants, et de vieilles personnes
eurent lieu même en pleine nuit, car il s’agissait de répartir dans les
moindres délais, chez l’habitant, tous les civils entassés dans des trains
qui stoppaient en pleine nature sur la ligne passant à Stolzenhagen, distante
de huit kilomètres environ.
C’est
ainsi qu’un de ces matins de fin janvier, je devais constater chez mon patron,
à ma prise de travail à six heures trente, une cour garnie de réfugiés
attendant la décision du Maire pour être hébergés quelque part. J’étais
très regardé et peut-être même mon sort était-il envié ?
Ma
participation à l’écoulement de cette cohue se limita au transport de
quelques bottes de paille dans les salles de l’école. Stangue ne paraissait
plus, submergé qu’il était par les directives qu’il devaient donner et le
logement (y compris la nourriture) qu’il devait assurer à toute cette horde
de familles.
Ce
matin là, selon l’habitude, je devais soigner le bétail. Ensuite, je devais
continuer à passer au tarare de la graine de ziradelle ; feignant
d’ignorer complètement la situation, je me rendis dans la cuisine en quête
du « chef » pour lui demander le numéro de grille qu’il fallait
utiliser (question très importante, qu’en temps normal Stangue, très
maniaque, réglait lui-même).
C’est
la patronne qui me répondit les yeux rougis et encore toute en pleurs
« ça lui est égal, fais comme tu veux ». je tournais donc la
manivelle tout le matin, m’arrêtant de temps en temps pour mieux entendre le
grondement lointain mais incessant des canons. Quelques chasseurs allemands
survolaient aussi la région à basse altitude.
C’était l’après-midi du 5 février qui devait
être mon dernier jour de travail à la ferme.
En
effet, le lendemain matin 6 février, le jour venait à peine de
se lever sur une trentaine de centimètres de neige fraîche que Stangue, en
qualité de Maire, frappa à la porte de notre baraque et demanda l’homme de
confiance du « Kommando » ainsi que moi-même. Très vite nous
sommes apparus sur le seuil de la porte et aperçûmes mon patron botté,
d’une extrême pâleur.
Sans
aucun commentaire il nous dit « il vous faut tous faire vos paquets pour
aller rejoindre dans deux heures au plus tard votre gardien à Gramnitzfeld, les
prisonniers évacuent ensemble indépendamment des civils ».
Aussitôt ce fut le délire dans la baraque ;
nous voulions partir sans rien laisser aux Allemands. C’est ainsi que tous nos
disques (obtenus par la Croix-Rouge) furent cassés et broyés avec une
multitude de potages « Maggi », mélange auquel s’agglutinaient
les plumes de nos édredons éventrés (nos lits comportaient une paillasse et
une couverture sur laquelle on se couchait pour se recouvrir d’un édredon
disposé dans une housse). Nous avons emporté le maximum de vivres possible,
mais nous fûmes dans l’obligation de manger, avant le départ, chacun une
boite de un kilo de « singe ». Malgré tout, dix sept boites de lait
en poudre sont restées dans notre cachette…
Suite |