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1942 - L'EVASION
Fin
janvier 1942, le camarade Christophe étant de retour, je suis affecté pour la
période de battage chez un assez gros cultivateur voisin (Repère 6 )
. C’est là que je fis la connaissance d’un Polonais qui fut pour moi d’un
précieux recours pour préparer mon évasion, laquelle fut mise à exécution
le 23 mars 1942. C’est dans cette ferme gérée par un drôle de
sire (le patron avait été tué à Dantzig lors des premiers contacts avec
l’armée polonaise) que se situent notamment deux épisodes… Tout d’abord
mon altercation avec le gérant, laquelle faillit tourner au tragique car j’ai
bien cru avoir étranglé cet énergumène ! (J’avais serré un peu fort
sous l’effet de la colère, mais de grâce, étendu quelques instants dans la
neige amassée le long du sentier ou nous nous étions rencontrés, il revint à
lui !!!!) Bien
sûr, furieux, il s’empressa de raconter l’histoire au poste de garde, mais
les soldats Allemands ne prirent rien de tout cela au sérieux. De mon coté, je
n’ai eu aucune peine à leur démontrer que si l’Allemagne n’avait que des
soldats de ce genre à opposer aux Russes la partie était perdue d’avance ! Après
cet incident j’étais « le mauvais homme » de la ferme, tenu à
l’œil aussi bien par le gérant que par la patronne. Et
voilà qu’alors que nous finissions de battre le seigle la machine explosa…
Le mot n’est pas trop fort, une véritable déflagration suivie immédiatement
d’un silence complet. Il s’agissait d’un incident au batteur qui, avant de
s’immobiliser brusquement, avait fait voler en éclats toute la superstructure
de la batteuse. Ma présence à cet instant sur la plate-forme de la machine me
fit longtemps soupçonner comme étant l’auteur d’un sabotage (j’étais
renseigné par le Polonais sur tout ce qui se disait à la maison à mon sujet),
mais pas de preuves !! A vrai dire, je n’étais absolument pour rien dans
cet incident, simplement dû à un défaut de visite et d’entretien du
tambour-batteur (vitesse 2 800 tours/minute) Pendant
le mois de février et au cours de la première quinzaine de mars, je préparais
activement mon évasion de concert avec un camarade travaillant chez un
cultivateur à l’autre extrémité du village (il s’agissait de Louis BERNY
habitant à Vouthon par Montbron, en Charente) et avec le concours d’August
(le Polonais). Ma
tache fut en effet grandement facilitée par
ce dernier ; c’est lui qui me procura un pantalon civil et c’est également
lui qui fit confectionner par le tailleur allemand du village une veste sport
taillée à ses mesures qui étaient sensiblement les miennes, dans une pèlerine
que m’avait fait parvenir Marguerite, ma femme. Louis
se débrouilla assez bien de son coté et finalement après la vente aux enchères
(moyennant paiement en marcs civils) de tout ce que nous ne pouvions emporter,
nous étions virtuellement prêts vers le 15 mars. C’est à ce moment que nos
vêtements civils et nos valises de ravitaillement furent cachés chez des
travailleurs polonais logeant à proximité du « kommando » ;
seuls nos deux bidons restants à nos cotés pour être remplis d’eau à la
dernière minute [1]. Après
avoir surveillé le passage du train de marchandises qui, chaque jour, manœuvrait
en fin de soirée (vers les vingt heures trente) en gare de Barskewitz (distante
de trois kilomètres environ) pour accrocher les wagons chargés à vide en
partance, nous avons décidé notre départ le lundi 23 mars au
soir après avoir su, par un copain, que deux wagons tombereaux ayant contenu du
charbon pour la laiterie devaient repartir vides le soir même sur Trempke (gare
de ravitaillement militaire située à coté de Stargard). L’occasion n’était
pas excellente puisqu’il nous fallait déjà changer de wagon à Stargard,
mais il était devenu impérieux de partir au plus tôt en raison des jours qui,
à cette époque, grandissaient « dangereusement ». Nous ne pouvions
en effet quitter Bruséwitz et prendre place dans les wagons en gare de
Barskewitz qu’à la faveur de la nuit. Ce
lundi soir, de retour au « Kommando », après une journée de
battage en ce qui me concerne, les bidons furent remplis d’eau, puis nous
quittons subrepticement les camarades pour aller revêtir nos vêtements civils.
L’opération se passe dans une ancienne porcherie en s’éclairant d’une
bougie. Eu
égard au froid encore assez vif et aux longues stations à faire dans des
wagons de marchandises éventuellement découverts, j’avais passé trois
chemises ! Vers
vingt heures, le sort en est jeté. Nous quittons notre cachette pour traverser
immédiatement la rue principale du village. Nous escaladons un petit mur de clôture
pour nous retrouver dans un petit verger donnant directement aux champs. Il y
avait encore sur le plat de trente à quarante centimètres de neige qui
rendirent notre marche très pénible surtout habillés comme Saint Georges !
Enfin, par cette nuit noire, la neige nous permet de deviner quelques
habitations proches, puis la gare elle-même. Mais soudain, nous disparaissons
dans un profond fossé, nivelé par la neige, qui longeait la voie de débord
sur laquelle se trouvait les deux wagons signalés par le camarade. A
grand peine, sans attirer l’attention des agents de la gare, nous parvenons à
sortir de cette situation ; après avoir vérifié l’étiquette des
wagons (j’avais une lampe électrique de poche dont le camouflage de la
lentille ne laissait échappé qu’un seul trait lumineux) nous nous sommes
hissés sur l’un d’eux. Et là, blottis dans un coin sous une couverture,
nous attendîmes une vingtaine de minutes sans doute et ce fut l’arrivée en
gare de notre fameux train. Aussitôt commencèrent les quelques manœuvres
d’accrochage des deux wagons. Secondes émouvantes !! car l’on devinait
et entendait les agents très proches de nous. Puis le train s’ébranle. Le
froid était intense car bien que placés dans le sens de la marche, nous étions
constamment pris dans un tourbillon incessant d’air, et il faisait moins
quatre ou moins cinq degrés. Après
quelque arrêts et manœuvres dans d’autres gares, nous parvenons sans
histoire à Stargard ou il fût nécessaire de bien se cacher sous notre
couverture pour éviter d’être repéré par les agents des postes
d’aiguillages dont les cabines, avec foyer lumineux éclairant le train,
surplombaient celui-ci. Notre
rame paraissant immobilisée pour quelque instants, nous avons décidé de
quitter sans plus tarder notre wagon pour tâcher de trouver le wagon idéal à
destination directe de la France. Cela ne s’avéra pas facile et ce fut bientôt
une première alerte lorsqu’un cheminot s’arrêta pour uriner contre un
butoir maçonné derrière lequel se trouvait précisément caché mon camarade
Louis attendant là les résultats de ma prospection, laquelle se révéla
infructueuse. Poursuivant
nos recherches dans un autre coin où stationnaient de nombreuses rames non
encore formées (certains wagons n’étant pas attelés), je fus subitement
pris dans un pinceau lumineux rasant le sol ! J’étais repéré par un
agent qui, peu à peu, se rapprochait de moi en me tenant constamment dans le
champ de sa lampe, bien que je sois recroquevillé derrière un essieu de wagon.
Deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’un homme était face à moi, me
disait bonjour en polonais et s’enfuyait… ! Incroyable !! J’en
restais un moment interdit (c’était incroyable, un travailleur civil polonais
qui, voyant ma capote polonaise, m’avais pris pour un frère qui s’évadait….). Pendant
ces quelques instants, Louis était resté immobile dans une zone obscure, juché
sur un tas de terre bordant la voie. Il avait vu toute la scène et avait eu
aussi peur que moi ! C’est alors que nous avons décidé de prendre
place, sans plus chercher, dans un wagon situé à proximité. Il s’agissait
d’un wagon belge chargé de grosses caisses et ne comportant pas d’autres
ouvertures que les deux portes. Ce wagon était étiqueté pour Stettin
(distance soixante dix kilomètres environ), mais qu’importe nous présumions
trouver la bonne occasion dans une gare très importante comme Stettin ! Au
cours de la nuit, notre wagon fut accroché et notre rame s’ébranla… assez
lentement … Hélas, après quelque minutes notre train s’arrêta, arrêt de
service sans doute, pour vérification de la fermeture et de la bonne
destination de chaque wagon. Le préposé arriva bientôt à notre hauteur,
ferma complètement la porte de notre wagon et la plomba ! Nous
avions la gorge serrée car il suffisait à cet agent de lever sa lanterne pour
nous apercevoir assis sur les caisses ! Enfin,
au petit jour ce fut le départ pour arriver en pleine matinée en gare de
Stettin ; chemin faisant nous ne sommes pas restés inactifs car il nous
fallait prendre des dispositions pour pouvoir sortir, le moment venu, de notre
« caisse plombée » ! Il
était absolument nécessaire de pouvoir ouvrir l’une des portes, ce qui fut
possible en pratiquant, avec mon couteau de postier[2]
un trou dans la paroi du wagon à hauteur du loquet extérieur. Ce
fût un travail très pénible, en raison de la gêne causée par les caisses.
Tout fut néanmoins terminé lorsque nous avons abordé les premiers triages de
Stettin. Je
du disposer mon passe-montagne dans le trou afin d’en camoufler un peu la
tranche blanche qui aurait pu attirer l’attention de militaires (gardiens de
« Kommando » de Français travaillant sur les voies à proximité
desquelles il nous arrivait de stationner ! Enfin
notre wagon s’immobilise en plein jour en face d’un quai couvert vitré où,
semble t-il, des équipes de prisonniers attendaient pour effectuer le déchargement
des wagons composants notre rame. Il fallait donc à tout prix quitter au plus
vite les lieux étant donné les déprédations effectuées et les traces plutôt
malodorantes laissées entre les caisses, conséquence sur nos intestins d’une
inévitable tension nerveuse. Ayant
repéré une courte rame de wagons vides situés à quelques pas seulement de
notre wagon, décision fût prise de sortir avec nos capotes militaires et nos
valises (disposées dans des sacs) sur notre dos afin de simuler des prisonniers
au travail. Il y avait en effet, non loin de là, un groupe de prisonniers français
avec quelques gardiens. D’un pas décidé nous pénétrâmes dans l’un des
wagons repérés. Après avoir fermé l’autre porte qui permettait à quelques
civils en conversation de nous apercevoir, nous restâmes immobiles dans un
angle assez obscur du wagon. C’est de cette cachette assez improvisée que
j’échangeai quelque mots avec un prisonnier qui s’était aperçu de notre
manœuvre. Celui-ci nous parlait de l’extérieur sans nous voir. C’est comme
cela que nous avons notamment su que ce wagon était sans étiquette et en
instance d’être désinfecté ! Il ne fallait donc pas songer à s’éterniser. D’ailleurs
à peine commençons nous à réfléchir à la question qu’un employé des
chemins de fer allemands (j’ai nettement distingué sa casquette) se penche
quelque peu à l’intérieur pour mieux se rendre compte de l’état du wagon,
mais sans nous remarquer !!!! Nous nous faisions petits !!! Après
une heure au plus notre wagon roule ! Nous
étions lentement remorqués, ainsi que quatre ou cinq autres wagons par une
machine de manœuvre, sans doute vers un quai de chargement. Il apparaissait
donc « vital » de quitter les lieux au plus vite. Et c’est alors
qu’à la faveur d’un ralenti nous avons sauté sur le ballast sans être
remarqué par le mécanicien ! Nous nous retrouvons assis dans des détritus
(paille et morceaux de bois). La rame s’éloignant sans histoire, nous sommes
allés immédiatement nous cacher dans des tas de traverses situés à une
centaine de mètres. C’est là que se termina notre journée. La
nuit venue, je partis en reconnaissance avec mes seuls vêtements civils (je
laissais donc ma capote et ma valise de vivres à Louis). Après avoir traversé
six ou sept rames, j’arrivais sur un quai tout éclairé, le long duquel un
train de marchandises se trouvait en stationnement. J’avisais presque immédiatement
deux wagons « citerne » (anciens wagons comportant deux volumineux
tonneaux bois et une vigie) dont l’étiquette indiquait notamment comme
destination Saint-Gilles dans le Gard ! L’occasion semblait inespérée,
mais après avoir traversé la première rame [3]
j’entendis une succession de coups de tampons. C’était ce que je craignais,
le départ du train… avec mes deux providentiels wagons citernes ! Désespérés
et transis de froid nous avons, sur le matin, découvert un wagon de sacs
d’orge étiqueté pour Aix la Chapelle. Ce n’était pas l’idéal, mais on
se rapprochait de la France. Nous avons donc pris place dans ce wagon en prenant
toutes les précautions voulues. J’ai moi-même re-plombé la porte de l’extérieur,
en pénétrant, en dernier lieu, dans notre repaire par l’un des volets à
glissière, aidé de l’intérieur par Louis. Dans
la journée, notre wagon fut accroché à un train en formation qui, finalement,
s’ébranla. Tout
se passe très bien pendant trois jours et quatre nuits, arrivants à
destination en pleine nuit, c’était parfait. Nous n’avons évidemment pas tardé à sortir et nous nous sommes trouvés dans un secteur de la gare d’Aix, sans doute affecté plus spécialement aux convois militaires. En effet, beaucoup de citernes d’essence, des portiques de déchargement, etc. et des voies pénétrant dans une enceinte close et qui pouvait être gardée !! Tout cela n’était guère rassurant !
[1] Auguste, le Polonais, nous procura également la carte que j’ai réussi à conserver malgré les fouilles et qui me servit de carte à mon retour. [2] Couteau qui m’a suivi jusqu’à Vaison et que je garde en souvenir. [3] Pour aller chercher cet ami Louis, respectant ainsi la parole donnée. Lien Les
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