MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1945 - LES RUSSES ARRIVENT

Le 29 avril à 17 heures, deux officiers russes, conduits par un camarade français qui n’avait pas respecté la consigne, apparaissent, marchant dans notre direction au milieu de la rue précitée. De chaque coté, les civils allemands (femmes et enfants, notamment), les bras en l’air…

Les deux officiers russes leur faisait d’ailleurs signe de baisser les bras… mais en crachant dans leurs direction !

Et ce fut les premiers contacts… Ne pouvant les comprendre, nos réponses ne pouvaient être que des sourires… jusqu’aux oreilles !

Puis la nuit arriva. C’est alors que discutant de la situation sur le pas de la porte d’entrée de notre bâtiment nous aperçûmes des ombres se faufilant d’un platane à l’autre dans notre direction. C’était nos deux français incorporés de force, qui tentaient de nous rejoindre à la fois pour échapper aux Allemands et aux Russes… Ils ne savaient pas que ces derniers étaient déjà là !

Très vite, nous les avons transformés en prisonniers en leur faisant troquer leurs uniformes contre des nippes kakis que les Belges utilisaient pour travailler dans les étables.

Il était bien déjà minuit que des tirs sporadiques de mitrailleuses s’entendaient toujours, venant surtout de la direction du village. Des soldats russes semblaient être un peu partout, notamment à l’intérieur de l’importante demeure bourgeoise du patron de la ferme, et c’est alors que trois d’entre eux nous firent comprendre qu’il nous fallait tous descendre et venir au château…

Nous traversons le grand salon dans lequel se trouvaient en liberté les deux chevaux de course du gérant ! Puis nous arrivons à l’entrée d’une cave où un soldat russe, juché sur un tas de bouteilles cassées, sert à boire à tous dans tous les pichets ou récipients quelconques disponibles. Une chaîne composée de vieilles femmes approvisionne les bouteilles que le russe débouche en cassant le goulot contre le champ d’une porte à demi ouverte. Rentrant dans notre local nous entendons des cris dans la nuit. Ce n’est que le matin du 30 avril, au petit jour, que nous comprendrons la situation.

Nous n’avions pas dormi et de bonne heure je me rasais devant la fenêtre quand j’aperçus au dehors une femme, réfugiée de Prusse Orientale, qui me regardait, éplorée en me montrant l’une des dernières demeures bordant l’avenue (il faut dire que, quelques jours auparavant, j’avais bavardé avec cette femme qui était alors accompagnée de ses deux filles qui pouvaient avoir seize et vingt ans).

Je vis alors de nombreux russes allant et venant dans cette maison devant laquelle se trouvaient entassés une trentaine de vélos… Il était donc facile de comprendre ce qui se passait, la mère ayant sans doute été éjectée parce que trop âgée !!

Sur un autre plan, le fait suivant se révèle significatif au cours de la matinée de ce 30 avril : un camarade français réfugié avec ses patrons chez des parents ou amis habitant le village était venu se joindre à nous pour ne pas rester isolé à la venue des Russes. Ayant alors voulu récupérer quelques affaires, il trouva dans sa petite ferme le Polonais (domestique) tenant par la main le fils de la maison âgé de cinq ans, tous les autres (les femmes et le grand-père) s’étaient pendus dans le grenier !

En fin de matinée, j’ai personnellement vu la patronne de la grosse ferme qui, le visage ravagé et telle un automate, s’en allait, marchant au milieu de l’avenue, tenant devant elle un certain coffret ! Le gérant aussi paraissait très affecté par cette terrible nuit. En passant il nous dit « ils m’ont tout pris, même mes bottes ».

L’atmosphère était lourde ! et nous entendions déjà parler d’Odessa !

A six, nous avons été d’accord pour ne pas attendre les instructions des Russes pour quitter les lieux, et cela d’autant plus vite que les Polonais commençaient à s’approprier les chevaux et chariots pour retourner en Pologne.

J’aurais aimé prendre les deux chevaux que j’avais l’habitude de conduire, mais ils étaient déjà partis. Qu’importe, j’en pris deux qui me parurent assez bien marcher, et nous sommes allés immédiatement au village pour chercher un petit chariot à quatre roues qui soit moins pesant que ceux de la ferme. Nous avons aussitôt caché les deux chevaux dans un hangar à paille (derrière un mur de paille) et là nous les avons bien soignés avec un mélange de farine et de betteraves pendant que se faisant, des copains préparèrent le chariot, notamment en le recouvrant d’une bâche.

Le lendemain matin 1er mai, à quatre heures se fut le départ… Direction France.

Nous avons dormi d’un œil dans la paille à proximité de nos chevaux et nous prenons donc le départ par un froid assez vif. Il neigeait par moment. Nous croisons presque de suite des convois hippomobiles de mongols et bien souvent, en raison des trous d’obus qui ont coupé partiellement la route, nous nous arrêtons bien sagement pour laisser la priorité à ces convois. De chaque coté de la route de nombreux chariots renversés avec, dans les fossés, des victimes civiles encore dans la position où la mort les a surprises. Nous avons l’intention de passer par Demmin mais, aux portes de cette ville un civil allemand nous en dissuade car, à ses dires, les rues sont encore encombrées par les ruines des immeubles détruits par les bombardements. Sur ses indications nous empruntons un chemin de forêt qui doit nous permettre de reprendre notre route principale au delà de Deminn.

Nous sortons de cette forêt à proximité d’une ferme dont les ruines sont encore fumantes, pour arriver sur un pont enjambant une petite rivière. Là, un écueil : le pont a été détruit mais les troupes sont néanmoins passées sur des fagots amoncelés réunissant les deux culées du pont, un platelage étant constitué par des tôles ondulées provenant sans doute de la toiture d’un hangar voisin.

Nous ne pouvions que faire de même, mais pour cela il fallait enlever trois cadavres de soldats allemands restés en travers sur ces tôles. La traversée ne s’effectua pas sans mal : notre chariot faillit bien tomber dans la rivière… avec moi-même qui tenait les guides !

En effet, cela ne parut sans doute pas sympathique à nos chevaux qui hésitèrent tout d’abord, démarrèrent brusquement … mais l’une des juments, effrayée par le bruit des tôles, fit un brusque écart qui, à quelques centimètres près pouvait être fatal pour notre expédition !

Nous rejoignons bientôt la grande route où nous rencontrons d’autres prisonniers français qui, comme nous, essayent de rentrer en France par les moyens du bord – certains avec tracteurs et remorques.

Pour cette première étape nous parcourrons une soixantaine de kilomètres. Nous nous arrêtons dans un bourg assez important traversé par la route, mais l’aventure que nous allons vivre nous servira de leçon, et désormais nos arrêts en fin de journée se feront toujours à l’écart de la grande route où passent de nombreux convois russes, quitte, bien souvent à faire un aller retour inutile de plusieurs kilomètres pour camper dans un petit village en pleine nature

C’est pourquoi les villes sur le trajet indiqué en rouge sur la carte sont celles que nous avons traversées et non pas des lieux précis où nous sommes arrêtés pour passer les nuits.

Dès notre départ nous avions décidé qu’en principe on s’arrêterait à midi chez l’habitant pour avoir à notre disposition des pommes de terre cuites et de l’eau chaude pour le café ; par contre, le soir on chercherai plutôt la maison évacuée pour s’y installer à notre aise et y faire notre cuisine.

Le soir du 1er mai nous stoppons dans une des maisons évacuées de ce bourg (propriété d’un restaurateur sans doute) . Nous soignons nos chevaux et aussitôt nous nous occupons de notre propre menu. Vient se joindre à nous une deuxième voiture de sept ou huit français et une ukrainienne. Nous organisons une grande table dans la salle à manger dans laquelle se trouvaient de grands coffres contenant quantité de vaisselle intacte.

C’est alors que survient un officier russe accompagné de deux gardes du corps ! Grâce à l’ukrainienne nous comprenons qu’il vient se faire raser, ce que le camarade L’Hermitte de Gramnitzfeld (coiffeur de son métier) s’empressa de faire. Puis il fallut lui servir un bon café (il avait sans doute senti l’odeur). C’est moi qui du me débrouiller pour trouver de l’eau bouillante. (Comme je le dirai ci-après, cette corvée me donna l’occasion de mesurer la terreur qui pouvait régner à ce moment dans la population civile).

Entre temps, notre « hôte » avait demandé qu’une garde soit montée à proximité de sa voiture… cela devait nous attirer une sévère réprimande car notre ukrainienne nous fit savoir qu’une garde devait se monter « debout » et non assis comme le Russe venait de le constater ! Cependant, très satisfait des services du coiffeur, il força celui-ci à le suivre. C’était pour lui attribuer une belle paire de bottes prises aux pieds d’un allemand, en pleine rue, après avoir d’une bourrade, envoyé celui-ci à terre ! (notre Russe n’avait-il pas remarqué, pendant qu’opérait le camarade L’Hermite que son brave coiffeur n’avait aux pieds que de « maigres » souliers bas puisque ne comportant pas de tige !)

Enfin, pour finir, il insista très fortement pour qu’un français le suivi pour s’amuser ! Finalement deux camarades de la voiture qui nous avait rejoint se déclarèrent volontaires… ils ne revinrent qu’au petit matin… à pied, sans suivre précisément la route de peur d’être repris par l’officier russe. N’avaient-ils pas pris la fuite à un moment où celui-ci était for occupé !!

Ils étaient tombés dans un espèce de harem que les Russes avaient constitué, pour les besoins de la cause, avec des filles des environs !!

Je viens de dire que cet officier russe avait, à un certain moment, réclamé, avec une vive insistance, du café. Nous n’avions encore rien fait chauffer et une partie de la cuisine avait été mise en piteux état. Ce que voyant et voulant faire vite, je suis allé dans les maisons voisines pour tâcher d’obtenir un peu d’eau bouillante. Je pénétrai dans une maisonnette relativement épargnée ou je découvris un réchaud à gaz qui me permis de confectionner ce fameux café dans les moindres délais. Un moment après, je suis revenu dans cette même maison pour confectionner un petit drapeau français qui, placé à l’avant de notre chariot, puisse nous identifier aux yeux des nombreuses troupes russes que l’on croisait.

Cette mesure n’était pas superflue car si on devait s’apercevoir très vite que si les Russes étaient en général indifférents à notre égard, il n’en était pas de même vis à vis des prisonniers italiens (qui eux aussi, bien souvent, portaient des tenues militaires kaki) qu’ils considéraient comme des ennemis. Je mis un certain temps à confectionner ce drapeau (avec croix de Lorraine brodée en jaune dans le blanc), car j’avais des difficultés à trouver de l’étoffe bleue. Je passais et repassais dans toutes les pièces, écrasant sous mes bottes toute la vaisselle cassée gisant sur le parquet, lorsque sur le seuil d’une pièce obscure, je distinguais tout au fond une silhouette d’homme, c’était le propriétaire de la maison qui protégeait sa femme et sa fille !!!

Ils poussèrent tous un soupir de soulagement lorsqu’ils se rendirent compte qu’ils avaient à faire à un Français et non à un Russe !

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