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1944 La place du village de Konstantinopel et Albert Beyer, le gardien civil L’hiver
s’achève sur une note très optimiste avec la défaite de Stalingrad. A ma
ferme, le drapeau toujours en bonne position au droit de la fenêtre du grenier
n’est pas sorti depuis longtemps car les victoires des troupes allemandes sont
devenues inexistantes (on ne pavoise pas pour les replis élastiques !). On
racle les fonds de tiroirs. Notre gardien civil, « L’Albert » a été
mobilisé et expédié en Russie où il sera tué. Neumann, le Maire est également
parti pour le front russe malgré ses cinq enfants et ses fonctions au sein du
parti. Mon patron le remplace en reprenant ainsi ses anciennes prérogatives.
Tout cela, y compris la création de la « Volktrum » (armée du
peuple) sans oublier l’attentat du 24 juillet contre Hitler contribue à créer
dans notre petit « Kommando » une ambiance de plus en plus
confiante. Mais
hélas, Hitler ne paraît pas encore à bout de souffle. Bien au contraire,
l’attentat manqué et les représailles terribles et horribles qui ont suivie
ont, semble-t-il, terrorisé le peuple. L’armée… celle-ci résistera peut-être
jusqu’au dernier homme ? Nous nous posons souvent la question et nous
nous demandons comment cela pourra-t-il finir pour nous qui sommes dans une région
qui sera tôt ou tard envahie par les Russes. Aussi,
après quelques vaines tentatives destinées sans doute à tromper la vigilance
des Allemands, voici venu le débarquement des alliés en Normandie. Cette fois
« c’est du sérieux ». Nous
affichons immédiatement une carte de France et fabriquons des petits drapeaux
destinés à jalonner l’avance quotidienne des troupes alliées . Notre
enthousiasme du début fut vite calmé car nos petits drapeaux firent du
sur-place pendant de longs jours. Le moral était malgré tout à l’optimisme.
Cependant le camarade Paul Hebert était assez anxieux car Caen, la ville où résidait
sa famille, se trouvait au cœur des opérations et nous savions par les
Allemands que cette ville était à quatre-vingt-dix pour cent détruite. Et
puis ce fut la libération de Paris et enfin l’arrivée des Français de
Leclerc à Strasbourg, mais on sentait que le nazisme n’était pas encore
abattu. Cela se confirma à Bastogne. Lorsque
commença une nouvelle campagne de pommes de terre, on se résigna tous à
passer une dernier hiver en Poméranie. Mais un dernier à coup sûr. Les
civils allemands, et en particulier mon patron, avaient perdu le sourire. Mais
certains demeuraient encore confiants en l’étoile de Hitler. On commença à
percevoir de sinistres roulements, échos des « orgues de Staline »
qui tiraient dans la région de Scheidemühl. Les
visites de notre « brave » gardien étaient de plus en plus fréquentes,
non pas pour faire un excès de zèle, mais tout simplement pour s’entretenir
avec nous tous de la situation militaire. Car pour lui, le grand problème était
de sauver sa peau au premier contact qu’il aurait avec les troupes russes.
Mais voilà, dans quelles conditions s’effectuerait le contact ?
Aurai-t-il la possibilité d’abandonner sa tenue militaire avant d’être
capturé par les Russes ? Autant
de questions qu’il ne cessait de se poser et auxquelles nous ne pouvions également
répondre. Quand
aux paysans de Konstantinopel, ils ne faisaient encore aucun préparatif de départ,
écoutant avec confiance, semble-t-il, l’avis de leur maire (mon patron
Stangue) car pour lui, les Russes pourraient peut-être envahir l’Allemagne,
occuper Berlin… mais jamais un Russe ne pourrait mettre le pied sur le
territoire de sa commune ! Cependant,
certains n’étaient pas sans se méprendre sur la gravité de la situation et
sur l’évacuation du pays qui ne pouvait manquer d’être, sous peu, ordonnée
par les autorités. C’est ainsi que le « Père Webert » (le patron
de mon ami Paul Hebert) qui n’était pas un tenant du nazisme, faisait, en
cachette (toutes portes de grange fermées), préparer un chariot par cet ami
Paul (graissage des roues, bâche, …). C’est
donc dans cette atmosphère hantée par l’arrivée prochaine des Russes que
les paysans du village vécurent la période de Noël et du Nouvel An. Malgré
tout, on prépare – sans éclat – les traditionnels gâteaux. Mais ce devait
être la dernière fois que mon patron devait me demander de préparer les
fagots pour chauffer le four. Bien
sûr, l’ambiance dans la baraque était toute autre !! Et chaque journée
se terminant par de longs et bruyants échanges de vues sur la situation et plus
particulièrement sur les nouvelles de dernière heure que Léon tenait très
souvent de ses patrons (la patronne se confiait en effet souvent à lui). Les
fêtes de fin d’année furent dignement fêtées. Beaucoup d’éclats, de
chants… Ce qui, le lendemain, donna lieu à certaines remarques, plutôt
aigres-douces, de quelque paysans. La
vie était belle, la libération par les Russes était proche. Mais comment
allait-elle s’effectuer ? Et
comment allions nous retourner en France ? |