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1942 - APRES L'EVASION, LA CELLULENous
voici donc incarcérés dans la cellule numéro 11 pour vingt-quatre jours. Pour
raconter notre vie dans cette baraque un croquis s’impose
En
principe la vie cellulaire était fractionnée en « bons » et
« mauvais » jours, (deux mauvais jours suivis d’un bon jour). Pour
le bon jour nous étions assimilés aux autres prisonniers du camp (un cinquième
de boule, un litre de soupe à midi, marmelade de betteraves ou saucisson (de
forme seulement !!) le soir, pour le coucher une paillasse de copeaux et
trois couvertures. Quand
aux mauvais jours, nous n’avions droit qu’à la demi-boule et de l’eau.
Pour se coucher, pas de paillasse et une seule couverture. Je
dirai tout de suite qu’au cours de notre séjour dans cette cellule, c’est
à dire pendant vingt-huit jours nous n’avons eu qu’un seul mauvais jour grâce
à un minuscule crayon et un morceau de gomme précieusement conservés dans un
pli de ma ceinture de flanelle. Voici le processus qui nous valu ce privilège,
grâce, il faut bien le dire aussi, à la situation de notre cellule et à la naïveté
des
Tous les matins les cellules étaient, l’une
après l’autre, ouvertes pour que les prisonniers puissent faire leur toilette
dans l’unique lavabo existant à l’entrée du couloir central et pour
qu’un coup de balai soit en même temps donné dans chaque cellule. Louis
allait tout d’abord se laver, je prenais le balai. La porte de la cellule était
bien ouverte, je pouvais pendant quelque instants me dissimuler derrière cette
porte (X du croquis), pouvant ainsi par l’œilleton de surveillance apercevoir
le gardien en bout de couloir, sans être remarqué. Et c’est ainsi que chaque
jour, je pouvais rectifier la fiche de contrôle qui était disposée dans une
pochette fixée sur la paroi extérieure de la porte de la cellule. En fait, je
gommais toutes les indications portées au crayon… (c’était heureux !!)
et indiquais une nouvelle liste des jours passés et à venir de telle sorte que
la présente journée soit, bien sûr, un « bon » jour. Les
vivres « Pétain », notamment les biscuits étaient supprimés pour
les occupants des cellules, mais grâce à un stratagème nous pouvions nous
partager quelques biscuits et des boites de fromage, celles-ci étant, chaque
jour, disposées par l’homme de soupe sous les panneaux « occultation »
des fenêtres des W.C. Pour
les biscuits, ce qui m’est personnellement arrivé explique la combinaison à
laquelle nous avions chaque jour recours. Le
premier jour de notre incarcération nous entendîmes, au cours de l’après-midi,
un camarade qui s’adressant particulièrement aux nouveaux venus de la cellule
11, enjoignait impérativement à l’un de ses occupants de se faire inscrire
pour une visite chez le dentiste du camp, le lendemain matin… cela sans plus
de commentaires. Ayant
toujours eu une dentition assez mauvaise, mon camarade Louis fut d’accord pour
que ce soit moi qui profite des quelques soins ou examens que pourrait éventuellement
procurer une telle visite. Le
lendemain matin, la porte s’ouvre… Une
sentinelle casquée, baïonnette au canon, demande le matricule 53 177 en
scandant le mot « tentiste, tentiste !». Je sors et me trouve dans
le couloir central aux cotés d’un camarade inconnu, qui me dit immédiatement
« c’est toi qui viens avec moi ? ». Je répondis « oui ».
Il ajoutait alors « tu as peut-être besoin de soins, mais sache avant
tout qu’il s’agit d’une corvée de ravitaillement et c’est pourquoi je
t’ai demandé hier de mettre ta capote et d’engager le pantalon dans tes
bottes ! » Suivi
de notre « ange gardien », nous sommes bien arrivés chez le
lieutenant français dentiste qui a tout de suite compris en nous voyant pénétrer
dans son espèce de cabinet. Priorité
bien sûr aux gens des cellules et nous avons été immédiatement « soignés »
avant les prisonniers du camp qui attendaient leur tour assis sur des bancs. La
consigne qui m’avait été donnée, chemin faisant, par le camarde barbu que
j’accompagnais était très simple : « suis moi et fais comme moi ». Ce
camarade passa donc le premier sur le fauteuil et fut, après quelques instants,
dirigé sur la salle contiguë où se trouvaient les docteurs du camp. Après
cela, le lieutenant dentiste m’appela tout en demandant à notre sentinelle
d’aller nous attendre dans le couloir. Après m’avoir badigeonner un peu les
gencives avec un quelconque liquide neutre, il me dirigea également vers les
docteurs. A
peine j’avais pénétré dans la pièce que j’aperçus le copain faisant
« le plein » sous l’œil entendu de deux docteurs qui dissertaient
de leurs affaires. Il s’agissait donc d’emporter le plus grand nombre
possible de biscuits en les emballant dans toutes les poches de la veste et de
la capote, mais aussi et surtout en les plaçant dans le pantalon tout autour
des cuisses. Nous avions peut-être un peu exagéré la mesure, si je puis dire,
car il nous fut assez pénible de marcher pour réintégrer notre cellule. Nous
songions à ce que pouvait bien penser notre gardien du traitement assez
singulier que nous avions pu subir pour que, de la mâchoire, cela nous tombe
ainsi sur les jambes, que nous ne pouvions mouvoir que largement écartées. Je
réintégrais donc la cellule où Louis fut vraiment stupéfait en voyant tomber
tous ces biscuits dès que j’eu abaissé mon pantalon ! Suivi
ensuite le décompte de tous ces biscuits, de manière à déterminer, en accord
avec mon coéquipier, le nombre à distribuer à chaque occupant des vingt-deux
cellules. Cette distribution se fit petit à petit, soit au cours de la ronde
journalière d’une demi-heure effectuée chaque matin à proximité de la
baraque, soit à travers des espèces de poêle en brique sur lesquels
reposaient les cloisons séparant chaque cellule. Il
faut dire que nous nous étions aperçus, quelques jours avant, que certaines
briques du poêle de notre cellule onze avaient été descellées au couteau,
lorsqu’un Russe occupant la cellule dix nous avait, par cette voie, demandé
du feu. Ces
poêles qui n’étaient d’ailleurs jamais utilisés, avaient tout de même
une certaine utilité, celle de constituer une excellente cachette pour le
tabac. Le paquet était déposé sur la grille du foyer auquel on accédait par
les briques descellées. Ce foyer ne comportant qu’une porte de chargement
s’ouvrant sur le couloir ne donna lieu à aucun soupçon. Une autre cachette
était constituée par le trou carré d’aération existant au dessus de la
porte d’accès à chaque cellule. Tous ceci explique pourquoi certains jours
des officiers de contrôle allemands étaient fous de colère lorsque, ouvrant
à l’improviste une cellule, ils se trouvaient dans une atmosphère de tabagie
sans qu’ils puissent trouver du tabac. Cette
vie de cellule était tout de même assez acceptable pour un prisonnier. Il y
avait cependant quelques petits cotés désagréables, tels ces appels en pleine
nuit et quelquefois plusieurs fois par nuit ! Et à n’importe quelle
heure… Ouverture bruyante et brusque de la porte. Il fallait se mettre au
« garde-à-vous » immédiatement… Le temps de dire « un deux »
pour nous compter, la lumière était aussitôt supprimée et la porte refermée.
Obligation de se recoucher à tâtons avec beaucoup de difficultés pour se
couvrir. Au
vingt-huitième jour, ce fut notre départ de la baraque cellulaire pour la
compagnie de discipline située dans d’autres baraques à l’extrémité
opposée du camp. Là aucun délai de fixé pour en sortir !!! Ces
baraques étaient situées dans une enceinte barbelée faisant elle même partie
du camp (trente-cinq à quarante hommes par chambre). Corvée d’eau chaque
matin pour disposer dans chaque chambre d’un fond de tonneau de trente à
trente cinq litres, lits superposés sur un étage seulement pour faciliter les
contrôles… En fait, les gros, dont je faisais partie, couchaient sur le
parquet arpenté en tous sens par les rats, et les maigres étaient à l’étage
avec seulement une planche sous la tête, une sous les fesses et une troisième
sous les pieds. Nous
étions en effet soumis à de multiples contrôles, particulièrement lorsque
nous étions enfermés dans nos baraques et généralement après la sonnerie
d’extinction des feux. Nous étions enfermés à partir de dix neuf heures
sans aucune lumière ; les nuits auraient été vraiment longues si bon
nombre n’avaient pas écourtés la soirée par les jeux de cartes. Les cartes
étaient cachées sous le plancher de la baraque et la lumière assurée par des
lampes rudimentaires constituées par quelque brins de coton tressés trempant
dans du suif fondu contenu dans une boite de conserve (le suit provenant de la
graisse de moutons qui constituait notre ration certains jours). Comme
toutes les baraques du camp, celles affectées à la compagnie disciplinaire étaient
dotées de panneaux noirs « occulteurs » qui, en principe, ne
devaient servir à rien puisque l’électricité était coupée, mais qui en
fait étaient d’un précieux recours car, contrairement à leur destination,
ils empêchaient cette lumière intérieure obtenue par nos artifices d’être
aperçus de l’extérieur. Et puis, détail très pratique, quelques petits
trous judicieusement ménagés dans les écrans permettaient à des guetteurs de
donner l’alerte aux joueurs de cartes dès que la patrouille se disposait à
ouvrir la porte de nos barbelés pour pénétrer dans l’enceinte
disciplinaire. C’est
ainsi qu’un certain soir, la patrouille fut signalée et chacun se glissa
rapidement tout habillé sous une couverture après avoir éteint toutes les
lampes à graisse. Nous entendîmes le rail barrant la porte glisser sur ses
supports, puis le fonctionnement des jeux de clefs, de cadenas, et la porte
d’accès à notre chambre s’ouvrit en même temps que jaillissait sur nos
couches le faisceau circulaire d’une lampe électrique torche. D’un
œil à demi ouvert, nous avions tous reconnus un sous-officier appelé « Le
Lion », l’un des plus féroces du poste de garde, qui accompagnait un
sbire tenant un chien policier en laisse. Quelle ne fût pas la colère du
« Lion » lorsqu’il aperçut toutes ces chandelles fumantes !
Aussi, en hurlant, donna-t-il une seconde de liberté au chien qui se saisit immédiatement
de la partie saillante formée sous la couverture par l’un des pieds du
camarade couché en face ! Après
quoi, content de lui, notre « Lion » referma la porte et ce n’est
que le lendemain matin que ce copain, profondément blessé, put être soigné
à l’infirmerie du camp. Nous
ne pouvions disposer de nos colis que sur une distribution parcimonieuse et
quotidienne faite par nos gardiens. Nous avions droit à la nourriture du camp.
A ce point de vue c’était tenable. Mais l’hygiène était au dessous de
tout ce qu’il est possible d’imaginer. Il était donc impérieux de pouvoir
quitter au plus vite de milieu disciplinaire qui devait d’ailleurs nous
conduire à Rawa Ruska si ce n’avait pas été la curiosité et l’honnêteté
d’un chef de baraque. Celui-ci s’étant en effet rendu compte que nous
n’en étions qu’à notre première évasion et que, par conséquent, à
cette époque [1]
nous pouvions encore repartir en « Kommando » en jurant simplement
sur l’honneur de ne plus récidiver !! Servi par la chance, c’est
finalement après une quinzaine seulement que mon copain Louis Berny parti le
premier pour travailler en ferme. Je devais prendre une destination similaire
deux jours après. Ainsi donc, sous la conduite de mon gardien, je
repris le train à Stargard pour en descendre après une petite heure de trajet
à Kesshagen où je devais prendre un petit train à voie métrique. Nous sommes
passés par un bourg assez important « Jacobhagen » et une dizaine
de kilomètres plus loin je descendis, toujours bien accompagné, à la station
de Konstantinopel qui n’était d’ailleurs matérialisée que par un simple
poteau portant le nom de la station.
[1] Avril 1942 |