MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1942 - APRES L'EVASION, LA CELLULE

Nous voici donc incarcérés dans la cellule numéro 11 pour vingt-quatre jours.

Pour raconter notre vie dans cette baraque un croquis s’impose

 

 

En principe la vie cellulaire était fractionnée en « bons » et « mauvais » jours, (deux mauvais jours suivis d’un bon jour). Pour le bon jour nous étions assimilés aux autres prisonniers du camp (un cinquième de boule, un litre de soupe à midi, marmelade de betteraves ou saucisson (de forme seulement !!) le soir, pour le coucher une paillasse de copeaux et trois couvertures.

Quand aux mauvais jours, nous n’avions droit qu’à la demi-boule et de l’eau. Pour se coucher, pas de paillasse et une seule couverture.

Je dirai tout de suite qu’au cours de notre séjour dans cette cellule, c’est à dire pendant vingt-huit jours nous n’avons eu qu’un seul mauvais jour grâce à un minuscule crayon et un morceau de gomme précieusement conservés dans un pli de ma ceinture de flanelle. Voici le processus qui nous valu ce privilège, grâce, il faut bien le dire aussi, à la situation de notre cellule et à la naïveté des
 gardiens.

Tous les matins les cellules étaient, l’une après l’autre, ouvertes pour que les prisonniers puissent faire leur toilette dans l’unique lavabo existant à l’entrée du couloir central et pour qu’un coup de balai soit en même temps donné dans chaque cellule.

Louis allait tout d’abord se laver, je prenais le balai. La porte de la cellule était bien ouverte, je pouvais pendant quelque instants me dissimuler derrière cette porte (X du croquis), pouvant ainsi par l’œilleton de surveillance apercevoir le gardien en bout de couloir, sans être remarqué. Et c’est ainsi que chaque jour, je pouvais rectifier la fiche de contrôle qui était disposée dans une pochette fixée sur la paroi extérieure de la porte de la cellule. En fait, je gommais toutes les indications portées au crayon… (c’était heureux !!) et indiquais une nouvelle liste des jours passés et à venir de telle sorte que la présente journée soit, bien sûr, un « bon » jour.

Les vivres « Pétain », notamment les biscuits étaient supprimés pour les occupants des cellules, mais grâce à un stratagème nous pouvions nous partager quelques biscuits et des boites de fromage, celles-ci étant, chaque jour, disposées par l’homme de soupe sous les panneaux « occultation » des fenêtres des W.C.

Pour les biscuits, ce qui m’est personnellement arrivé explique la combinaison à laquelle nous avions chaque jour recours.

Le premier jour de notre incarcération nous entendîmes, au cours de l’après-midi, un camarade qui s’adressant particulièrement aux nouveaux venus de la cellule 11, enjoignait impérativement à l’un de ses occupants de se faire inscrire pour une visite chez le dentiste du camp, le lendemain matin… cela sans plus de commentaires.

Ayant toujours eu une dentition assez mauvaise, mon camarade Louis fut d’accord pour que ce soit moi qui profite des quelques soins ou examens que pourrait éventuellement procurer une telle visite.

Le lendemain matin, la porte s’ouvre…

Une sentinelle casquée, baïonnette au canon, demande le matricule 53 177 en scandant le mot « tentiste, tentiste !». Je sors et me trouve dans le couloir central aux cotés d’un camarade inconnu, qui me dit immédiatement « c’est toi qui viens avec moi ? ». Je répondis « oui ». Il ajoutait alors « tu as peut-être besoin de soins, mais sache avant tout qu’il s’agit d’une corvée de ravitaillement et c’est pourquoi je t’ai demandé hier de mettre ta capote et d’engager le pantalon dans tes bottes ! »

Suivi de notre « ange gardien », nous sommes bien arrivés chez le lieutenant français dentiste qui a tout de suite compris en nous voyant pénétrer dans son espèce de cabinet.

Priorité bien sûr aux gens des cellules et nous avons été immédiatement « soignés » avant les prisonniers du camp qui attendaient leur tour assis sur des bancs.

La consigne qui m’avait été donnée, chemin faisant, par le camarde barbu que j’accompagnais était très simple : « suis moi et fais comme moi ».

Ce camarade passa donc le premier sur le fauteuil et fut, après quelques instants, dirigé sur la salle contiguë où se trouvaient les docteurs du camp. Après cela, le lieutenant dentiste m’appela tout en demandant à notre sentinelle d’aller nous attendre dans le couloir. Après m’avoir badigeonner un peu les gencives avec un quelconque liquide neutre, il me dirigea également vers les docteurs.

A peine j’avais pénétré dans la pièce que j’aperçus le copain faisant « le plein » sous l’œil entendu de deux docteurs qui dissertaient de leurs affaires. Il s’agissait donc d’emporter le plus grand nombre possible de biscuits en les emballant dans toutes les poches de la veste et de la capote, mais aussi et surtout en les plaçant dans le pantalon tout autour des cuisses. Nous avions peut-être un peu exagéré la mesure, si je puis dire, car il nous fut assez pénible de marcher pour réintégrer notre cellule. Nous songions à ce que pouvait bien penser notre gardien du traitement assez singulier que nous avions pu subir pour que, de la mâchoire, cela nous tombe ainsi sur les jambes, que nous ne pouvions mouvoir que largement écartées. Je réintégrais donc la cellule où Louis fut vraiment stupéfait en voyant tomber tous ces biscuits dès que j’eu abaissé mon pantalon !

Suivi ensuite le décompte de tous ces biscuits, de manière à déterminer, en accord avec mon coéquipier, le nombre à distribuer à chaque occupant des vingt-deux cellules. Cette distribution se fit petit à petit, soit au cours de la ronde journalière d’une demi-heure effectuée chaque matin à proximité de la baraque, soit à travers des espèces de poêle en brique sur lesquels reposaient les cloisons séparant chaque cellule.

Il faut dire que nous nous étions aperçus, quelques jours avant, que certaines briques du poêle de notre cellule onze avaient été descellées au couteau, lorsqu’un Russe occupant la cellule dix nous avait, par cette voie, demandé du feu.

Ces poêles qui n’étaient d’ailleurs jamais utilisés, avaient tout de même une certaine utilité, celle de constituer une excellente cachette pour le tabac. Le paquet était déposé sur la grille du foyer auquel on accédait par les briques descellées. Ce foyer ne comportant qu’une porte de chargement s’ouvrant sur le couloir ne donna lieu à aucun soupçon. Une autre cachette était constituée par le trou carré d’aération existant au dessus de la porte d’accès à chaque cellule. Tous ceci explique pourquoi certains jours des officiers de contrôle allemands étaient fous de colère lorsque, ouvrant à l’improviste une cellule, ils se trouvaient dans une atmosphère de tabagie sans qu’ils puissent trouver du tabac.

Cette vie de cellule était tout de même assez acceptable pour un prisonnier. Il y avait cependant quelques petits cotés désagréables, tels ces appels en pleine nuit et quelquefois plusieurs fois par nuit ! Et à n’importe quelle heure… Ouverture bruyante et brusque de la porte. Il fallait se mettre au « garde-à-vous » immédiatement… Le temps de dire « un deux » pour nous compter, la lumière était aussitôt supprimée et la porte refermée. Obligation de se recoucher à tâtons avec beaucoup de difficultés pour se couvrir.

Au vingt-huitième jour, ce fut notre départ de la baraque cellulaire pour la compagnie de discipline située dans d’autres baraques à l’extrémité opposée du camp. Là aucun délai de fixé pour en sortir !!!

Ces baraques étaient situées dans une enceinte barbelée faisant elle même partie du camp (trente-cinq à quarante hommes par chambre). Corvée d’eau chaque matin pour disposer dans chaque chambre d’un fond de tonneau de trente à trente cinq litres, lits superposés sur un étage seulement pour faciliter les contrôles… En fait, les gros, dont je faisais partie, couchaient sur le parquet arpenté en tous sens par les rats, et les maigres étaient à l’étage avec seulement une planche sous la tête, une sous les fesses et une troisième sous les pieds.

Nous étions en effet soumis à de multiples contrôles, particulièrement lorsque nous étions enfermés dans nos baraques et généralement après la sonnerie d’extinction des feux. Nous étions enfermés à partir de dix neuf heures sans aucune lumière ; les nuits auraient été vraiment longues si bon nombre n’avaient pas écourtés la soirée par les jeux de cartes. Les cartes étaient cachées sous le plancher de la baraque et la lumière assurée par des lampes rudimentaires constituées par quelque brins de coton tressés trempant dans du suif fondu contenu dans une boite de conserve (le suit provenant de la graisse de moutons qui constituait notre ration certains jours).

Comme toutes les baraques du camp, celles affectées à la compagnie disciplinaire étaient dotées de panneaux noirs « occulteurs » qui, en principe, ne devaient servir à rien puisque l’électricité était coupée, mais qui en fait étaient d’un précieux recours car, contrairement à leur destination, ils empêchaient cette lumière intérieure obtenue par nos artifices d’être aperçus de l’extérieur. Et puis, détail très pratique, quelques petits trous judicieusement ménagés dans les écrans permettaient à des guetteurs de donner l’alerte aux joueurs de cartes dès que la patrouille se disposait à ouvrir la porte de nos barbelés pour pénétrer dans l’enceinte disciplinaire.

C’est ainsi qu’un certain soir, la patrouille fut signalée et chacun se glissa rapidement tout habillé sous une couverture après avoir éteint toutes les lampes à graisse. Nous entendîmes le rail barrant la porte glisser sur ses supports, puis le fonctionnement des jeux de clefs, de cadenas, et la porte d’accès à notre chambre s’ouvrit en même temps que jaillissait sur nos couches le faisceau circulaire d’une lampe électrique torche.

D’un œil à demi ouvert, nous avions tous reconnus un sous-officier appelé « Le Lion », l’un des plus féroces du poste de garde, qui accompagnait un sbire tenant un chien policier en laisse. Quelle ne fût pas la colère du « Lion » lorsqu’il aperçut toutes ces chandelles fumantes ! Aussi, en hurlant, donna-t-il une seconde de liberté au chien qui se saisit immédiatement de la partie saillante formée sous la couverture par l’un des pieds du camarade couché en face !

Après quoi, content de lui, notre « Lion » referma la porte et ce n’est que le lendemain matin que ce copain, profondément blessé, put être soigné à l’infirmerie du camp.

Nous ne pouvions disposer de nos colis que sur une distribution parcimonieuse et quotidienne faite par nos gardiens. Nous avions droit à la nourriture du camp. A ce point de vue c’était tenable. Mais l’hygiène était au dessous de tout ce qu’il est possible d’imaginer. Il était donc impérieux de pouvoir quitter au plus vite de milieu disciplinaire qui devait d’ailleurs nous conduire à Rawa Ruska si ce n’avait pas été la curiosité et l’honnêteté d’un chef de baraque. Celui-ci s’étant en effet rendu compte que nous n’en étions qu’à notre première évasion et que, par conséquent, à cette époque [1] nous pouvions encore repartir en « Kommando » en jurant simplement sur l’honneur de ne plus récidiver !! Servi par la chance, c’est finalement après une quinzaine seulement que mon copain Louis Berny parti le premier pour travailler en ferme. Je devais prendre une destination similaire deux jours après.

Ainsi donc, sous la conduite de mon gardien, je repris le train à Stargard pour en descendre après une petite heure de trajet à Kesshagen où je devais prendre un petit train à voie métrique. Nous sommes passés par un bourg assez important « Jacobhagen » et une dizaine de kilomètres plus loin je descendis, toujours bien accompagné, à la station de Konstantinopel qui n’était d’ailleurs matérialisée que par un simple poteau portant le nom de la station.

 

[1] Avril 1942

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