|
|
1943 - HISTOIRES DE FEMMESJ’ai
dit précédemment que le « Kommando » de Constantinopel était très
uni, jusqu’au jour ou François D... et Camille L... eurent entre eux une
petite histoire (l’unique en son genre qui eut lieu à Konstantinopel) que je
crois devoir relater bien que ma participation se limite au modeste et peu
excitant rôle de médiateur. Par
suite de bombardements de plus en plus violents, Stettin, comme la plupart des
grandes villes, était chaque jour de plus en plus désertée par les femmes et
les enfants qui trouvaient refuge chez le paysan de la région. C’est ainsi
qu’une jeune femme d’un abord assez facile et d’une allure très
affranchie … fut recueillie par un petit cultivateur du village chez lequel
travaillait alternativement – une semaine non l’autre – Camille et François.
L’arrivée
de cette femme se fit pendant la présence de Camille qui, comme on dit,
« chauffa le four »… mais c’est hélas François qui, la semaine
suivante, « enfourna ». Bien entendu, ce ne fut pas du goût de
Camille qui, fort en colère, et sans mesurer la portée de sa menace, jura de
se venger le lendemain matin même, en portant à la connaissance du Maire
(Neumann) le comportement coupable du Français avec une fille de quinze ans du
service du travail obligatoire, engagée dans une ferme voisine de la baraque du
« Kommando ». François,
marié, père de deux enfants, mesura tout de suite la gravité d’une telle dénonciation
(un tel acte aggravé par la compromission d’une mineure pouvait en effet lui
valoir cinq années de forteresse !) et, très décidé, répondit
simplement « Camille, si tu fais cela, tu es un homme mort ! »
Après m’être assuré, d’un coté comme de l’autre, du sérieux de la
situation, je proposais au cours de la nuit la solution toute simple que voici :
« Puisque, dis-je à François, tu es si bien avec cette femme, mets la au
courant des menaces de Camille et des peines de justice qu’elle encourt
(cheveux coupés en public et prison pour une durée indéterminée… c’est
à dire travail forcé en temps de guerre). Après quoi propose lui le partage
équitable que l’on devine, c’est à dire le partage équitable de ses
charmes avec Camille. C’est
ce qui fut fait. Et dans les vingt-quatre heures l’incident fut clos ! Cette
vie de « Kommando » continua malgré tout, dans une atmosphère
amicale agrémentée et entretenue par des repas organisés et pris en commun
dans la baraque certains dimanches (il fallait bien utiliser les colis) et par
quelques petites fêtes qui marquaient généralement un fait de guerre
favorable, et auxquels assistaient quelques camarades du « Kommando »
voisin de Gramnitzfeld. Je profitais souvent des dimanches après-midi (avant
dix-sept heures, heure à laquelle je devais aller à la ferme soigner les
vaches) pour me promener en campagne et visiter les camarades des « Kommandos »
voisins. C’est
ainsi que j’allais souvent à la ferme de Vaucoule porter du pain (récupéré
pendant la semaine) et des œufs (« volés » dans certains nids isolés
chez Staugue) à deux camarades qui faisaient notamment partie de ce « Kommando »
disciplinaire de forêt formé de Français venant du camp disciplinaire de Rawa
Ruska (camp évacué devant l’avance russe). Ce
« Kommando », en principe hermétiquement fermé, était gardé par
un soldat habitant à la ferme et qui, les dimanches, était fort occupé avec
la femme du patron de la ferme, lequel était bien entendu mobilisé. Aussi,
en me présentant « impeccablement » et très respectueusement, il
avait très vite consenti, pour ne pas être trop importuné, à m’enfermer
purement et simplement avec les membres du « Kommando », ce qui
permettait à mes deux copains de préparer en toute tranquillité et de déguster
une bonne omelette aux pommes de terre en utilisant mes œufs et mon pain. |