MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1943 - NOURRITURE

Ces festins en baraque de certains dimanches étaient, évidemment, toujours composés de conserves, mais nous tenions à y associer de la viande fraîche. Très souvent c’était de la volaille préparée à la française. Pour en assurer l’approvisionnement (trois poules, en principe il fallait bien cela pour treize) trois d’entre nous étaient tirés au sort pour fournir chacun sa « poule ». Je dois dire qu’en ce qui me concerne, les poules blanches étaient invariablement les sacrifiées, car c’étaient les seules que je pouvais distinguer le matin à six heures dans le poulailler obscur.

L’opération était réalisée très rapidement et ne devait pas créer la panique dans le poulailler. Pour ce faire, il suffisait de mettre très délicatement la main au cou de la poule, lui imprimer quelques rotations comme une manivelle, fermer le poulailler… et « planquer » la poule jusqu’au soir dans une cache entre le foin et la toiture. Pas de bruit, pas de plumes… Un inconvénient tout de même, la viande était rouge puisque la poule n’avait pas été saignée.

Un certain dimanche nous avions voulu varier le menu en remplaçant la traditionnelle poule par de l’oie. Le problème qui, à priori devait être le plus compliqué fut simplifié par la proposition géniale d’un camarade dont la patronne possédait un groupe assez important d’oies (plus de deux cents). Celles-ci avaient l’habitude de venir chaque après-midi se reposer devant le portail de la ferme (portail constitué par deux grands vantaux pleins, en bois). Il suffit donc à ce camarade de disposer un de ces vieux vantaux en équilibre instable sur ses gonds pour que, au moment voulu, par un simple jet de pierre, le ventail se renverse en écrasant quelques oies. L’opération fut parfaitement réussie et lui rapporta quatre oies (plus que suffisant pour treize) que la patronne devait lui remettre immédiatement … pour les enterrer bien entendu (conformément à la coutume du pays qui veut qu’on ne mange pas les animaux tués accidentellement). Le camarade se fit fort d’en faire profiter tout le « Kommando »… et ce fut un régal.

Cette histoire me rappelle d’ailleurs celle analogue qui se passa à ma ferme. Il s’agissait cette fois d’un agneau qui s’était ouvert le ventre en traversant des fils de fer barbelés. Après avoir saigné l’animal, Stangue me le remit pour l’enterrer. Je lui fis part de mon étonnement en lui demandant si je pouvais le manger avec mes camarades. Sur sa réponse affirmative, j’avisais tout de suite cet ami Paul Hebart (boucher de profession) qui s’en empara pour tirer deux gigots et deux rôtis.

Pour la cuisson nous eûmes recours au four électrique que possédait le patron d’Adolphe (des gens assez sympathiques), mais attirés par la saveur de ces rôtis en cours de cuisson. Nous n’avons pu moins faire que de leur laisser un morceau de gigot…

Ce fait fit le tour du pays, car ces braves gens n’avaient jamais mangé une aussi bonne viande. Cela d’ailleurs me valu un semblant de reproche de la part de mon patron qui, réflexion faite, n’aurait pas dédaigné d’y goûter également, lui qui avait fourni la viande.

Dans le village mon patron faisait figure de vétéran nazi. Ancien Maire et chef des cultivateurs du coin à l’avènement de Hitler, il avait dû néanmoins céder ses prérogatives à Neumann, bien plus jeune que lui. Le régime voulait se donner des cadres jeunes. Il demeurait toutefois vice-président de la commission des réquisitions de l’arrondissement. En cette qualité, il se voulait d’être pris comme modèle : loyal envers le Furher dont le portrait grandeur nature était disposé au dessus de son bureau dans la salle de séjour. Mais de telles apparences cachaient la réalité, car, en bon père de famille, il tenait sans doute avant tout à ce que les siens se ressentent le moins possible des effets de la guerre. Tout au moins sur le plan alimentaire.

C’est ainsi qu’un certain jour où nous avions battu une dizaine de sacs de seigle pour être livrés au ravitaillement général, mon patron sans aucun commentaire, m’en fit disposer deux dans un coin d’un hangar, lesquels furent ensuite recouverts par deux tonnes de briquettes. Cela permettait, grâce au concours obligeant du moulin de la région, de faire la soudure avant les moissons et de manger ainsi du bon pain pendant toute l’année (le pain était fait à la ferme avec un mélange de farine de seigle et de blé et du lait écrémé).

 

Plus tard, au moment de la récolte des pommes de terre, je fus surpris d’avoir à enlever quelques madriers qui constituaient, en un endroit toujours recouvert de paille, le sol d’une vieille grange. Ces madriers recouvraient une cache maçonnée dans laquelle je vidais au moins une vingtaine de sacs de quatre-vingt kilos de pommes de terre. Après quoi on engrangea, sur tout le coté intéressé de cette bâtisse de la ziradelle (sorte de lentille sauvage destinée aux vaches). C’est d’ailleurs moi qui, au printemps suivant, eu le privilège de retirer petit à petit ces mêmes pommes de terre pour notre consommation et celle des porcs (ce tas de pommes de terre, avec des germes de cinquante centimètres et plus, valait le coup d’œil).

 

Je ne dirai que deux mots à propos du jambon fumé que je découvris un beau matin dans le grenier, enfoui dans un tas d’avoine destiné aux chevaux !

Tout cela aurait constitué des faits très graves si le prisonnier avait parlé. Mais, je dois le dire, j’avais ma large part du « butin ». La patronne et même le patron avaient à cœur de bien me nourrir et ne faisaient aucune différence entre leur nourriture et les repas ou casse-croûte du prisonnier. Dans ces conditions, je ne pouvais qu’être complice.

 

Une seule fois cependant j’avais décidé de me venger si, comme il m’en avait menacé, mon patron avait rapporté certains faits (en les aggravant bien sûr) à l’adjudant de contrôle. D’ailleurs, ne l’avais-je pas averti : « si tu contactes l’adjudant… et bien moi je contacterai les schupos ».

Il n’en a rien été grâce, je suppose, à l’intervention de la patronne.

 

L’année 1943 fut également marquée par de nombreuses évasions, et les Allemands avaient constaté, sur les repris, quantité de conserves qui provenaient des colis. Pendant quelques temps, ordre avait été donné aux gardiens d’ouvrir systématiquement toutes les boites de conserves lors de la distribution des colis. Cette mesure fut plus ou moins respectée, mais dans certains « Kommandos » les gardiens se faisaient un malin plaisir à planter purement et simplement leur baïonnette dans toutes les boites de conserve contenues dans les colis. Et puis des instructions furent données pour qu’une grande caisse cadenassée par le gardien soit disposée dans chaque « Kommando » pour y entreposer toutes les conserves reçues par les prisonniers. Une distribution parcimonieuse de celles-ci étant faite par le gardien, une seule fois par semaine (en principe une boite par homme).

 

Et bien, à ce sujet également, je dois faire l’éloge de notre gardien car il nous proposa immédiatement de ne mettre chacun qu’une ou deux boites dans la fameuse caisse, afin de satisfaire l’adjudant de contrôle. Le reste, bien caché, demeurait à notre disposition. Et c’est notre gardien qui nous suggéra cette fameuse cache (un trou maçonné, sorte de petite cave, recouvert par de vieux madriers constituant le plancher d’une petite dépendance de la baraque).

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