MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1945 - SUR LA ROUTE

Je n’insistais pas… mais j’avais déjà redressé l’axe en question, ce qui était le principal.

Nous partons de cette ferme le 16 février à huit heures. Nous traversons la ville de Frienland pour stopper dans le village de Schwanberk à onze heures. Là nous avons le temps de bien nous restaurer, notamment avec du choux-rouge en vinaigrette. A notre arrivée, nous nous étions en effet tous jetés sur un tombereau de choux-rouges qui était resté ainsi chargé dans l’un des grands hangar que nous devions occuper.

Nous avions cependant, au préalable, « retenu » ou plus exactement « marqué » nos places sur cette litière hachée parce que mille fois piétinée, qui recouvrait le sol de ces grands hangars… mais nous devions par la suite avoir la désagréable surprise de constater qu’un peu partout sous cette paille gisaient des chevaux crevés ! deux de ceux-ci se trouvaient justement à l’endroit que nous avions marqués avec nos sacs ou nos valises !

Pour changer de coin, il ne restait plus comme place disponible que le dessous d’une batteuse. Qu’importe on se glissa tous sous cette machine. Cette situation avait au moins l’avantage de nous éviter d’être écrasé en pleine nuit par des camarades cherchant à gagner l’extérieur pour satisfaire un besoin pressant ! Mais cet avantage devait avoir sa contre-partie pour Maillet Robert du « Kommando » de Konstantinopel  dont l’estomac refusa de fameux chou-rouge. Etant obligatoirement couché sans pouvoir se mouvoir … Très difficile lui fut en effet le rejet de cette crudité.

Départ le lendemain 17 février à huit heures pour Schenlerk où nous arrivons à quinze heures. Nos gardiens paraissent assez pessimistes. Il semble qu’ils ne savent plus quelle direction prendre, car à l’arrière ce sont les Russes et à l’avant c’est l’avance anglaise. Et puis tous les villages de la région sont saturés de prisonniers français ou autres ainsi que de réfugiés allemands ou travailleurs étrangers.

Cette situation nous sera profitable, car nos gardiens décident finalement de rester sur place, pour attendre des instructions sans doute.

La journée du 18 février sera donc une journée de repos très appréciée car les kilomètres commencent à se faire sentir.

Le 19 février à huit heures nous reprenons la route en direction de la Baltique. La brouette se comporte bien, malgré les chemins de terre que la colonne emprunta, soi-disant pour raccourcir le trajet (à certains endroits, il n’y eu plus la possibilité de rouler, et la brouette dû être utilisée comme un brancard).

La route parcourue cette journée ne sera pas longue, car nous nous arrêtons dans le gros village de Bartow à douze heures.

Là, notre très importante colonne est répartie dans toute l’agglomération, notre groupe ainsi que certains autres échouent dans les bâtiments d’une ferme assez importante dont une sortie donne directement sur les champs. Nous nous installons comme toujours dans la paille en choisissant, autant que possible, les endroits les plus élevés, sous les tuiles, de façon à s’isoler au mieux dans cette véritable fourmilière. Un inconvénient… la poussière et les multiples toiles d’araignées tapissant les derniers rangs de bottes de paille.

Nous devions séjourner dans ce village jusqu’au 20 mars. La pitance octroyée par nos gardiens était plus que maigre. Ceux-ci ne recevant aucun ravitaillement et n’ayant sans doute pas de possibilité de réquisition prirent la sage résolution de nous laisser nous organiser pour survivre.

C’est ainsi qu’en ce qui concerne mon petit groupe, nous avons pu préparer chaque jour notre ragoût de pommes de terre grâce à un petit paysan voisin qui nous donna libre accès à sa chambre à four. Cela impliquait des corvées de ravitaillement journalières : les pommes de terre provenaient tout simplement des nombreux silos existant en plein champ. L’extraction de celles-ci était très laborieuse car la terre recouvrant ces silos était gelée sur plus de quarante centimètres d’épaisseur (généralement on se limitait à creuser un trou par lequel on passait le bras et l’on retirait les pommes de terre une à une).

Nous pouvions également récupérer, en partie, des choux, dont les cœurs, préservés du gel, étaient exempts de pourriture.

Pour le bifteck, nous avions recours aux collets. La région était en effet très fournie en lapins de garenne.

Je pus heureusement me procurer une chute de câble d’acier à brins multiples qui me servit à confectionner de multiples collets. La mise en place de ceux-ci était assez difficultueuse en raison du nerf du fil d’acier, mais, néanmoins, le système s’avéra très efficace. Je dépouillais les victimes sur place à la faveur d’une petite balade au pré. Je faisais disparaître la peau et les entrailles dans un ruisseau voisin, et je revenais avec un simple petit paquet sous le bras !

Personnellement je vécus un mois dans ces conditions, ayant toutefois quitté mon grenier à paille pour celui à foin immédiatement au dessus de l’étable et par conséquent plus chaud bien que plus humide. C’est là qu’un certain matin, un commis polonais de la ferme faillit m’enfourcher par mégarde en venant jeter bas du foin pour les vaches.

Notre petit groupe avait été pris en exemple par d’autres, mais qui, en guise de bifteck, s’appropriaient … les pigeons de la ferme, très accessibles la nuit dans l’étable où ils nichaient. Cela a d’ailleurs fait l’objet d’une histoire, mais sans gravité.

Quelques jours avant que s’achève ce mois de repos à Bartow, nos gardiens recherchèrent les cheminots susceptibles d’assurer la conduite de locomotives. Je me déclarais apte à seule fin d’échapper à cette vie errante qui allait sans doute reprendre, et dans quelles conditions, puisque nous savions que les Russes et les armées alliées ne cessaient de se rapprocher.

Un ou deux jours après, le gros de la colonne, comprenant notamment tous mes copains de « Kommando », voire du camp ( je songe en particulier à Maurice Dercy ) se remis en marche pour une destination inconnue. Quand à moi, je devais demeurer à Bartow avec une centaine de camarades.

Le 20 mai à huit heures nous quittons tous Bartow pour une destination inconnue, mais toujours en direction du Nord. On ne parle plus de conduire des locomotives ! Nous terminons l’étape à Bandehy à seize heures, petit bourg non loin d’Anklam, sévèrement bombardée par l’aviation américaine.

Nous reprenons notre marche le lendemain 21 mars à huit heures trente, pour stopper à Neu Kirchen à dix huit heures trente. Nous sommes à proximité du camp de Greiswald – Stalag IIC. Le camp est évacué, mais il reste quantité de colis américains dont nous pouvons disposer… à charge de pouvoir les transporter. C’est ce que ma brouette me permet encore de faire. En disposant cinq cartons de cinq kilos chacun sur l’espèce de bouclier avant que j’avais combiné à Mecklin.

Nous ne repartons de Neu Kirchen qu’à treize heures, le lendemain 22 mars, pour faire arrêt à Reinberg (tout près de la Baltique) à dix huit heures. Sur notre route nous rencontrons de nombreux barrages anti-chars, constitués en partie par des sapins coupés dans les forêts voisines ; nombreux sont les jeunes allemands (garçons et filles) travaillant à l’établissement de ces barrages.

Nous repartons de Reinberg le 23 mars à neuf heures trente, toujours en direction du Nord. Nous rencontrons sur notre passage des prisonniers français qui n’ont pas quitté leur lieu de travail, malgré l’évacuation du camp de Greiswald… mais leurs gardiens se sont « évaporés » !

Nous arrivons dans la banlieue de Stralsund à seize heures, nous campons dans une ferme.

Repos le lendemain 24 mars, mais nos gardiens (certains d’entre-eux) qui croient sans doute encore au « Père Noël » nous interdisent de nous rendre en ville ou nous savions que devait se trouver une partie de l’effectif de l’importante colonne que nous avions quitté à Bartow.

Départ le 25 mars à neuf heures. Nous traversons une partie de la ville de Strasund pour arriver sur le grand pont reliant l’île de Rugen au continent. Un petit incident mécanique survient à ma brouette, auquel je remédie rapidement grâce à du fil de fer et une pince universelle que je m’étais appropriée chez le maréchal-ferrant de Meckli, (cette pince devait me suivre jusqu’à Vaison).

C’est à seize heures que notre petite colonne fera halte dans une ferme située un peu avant Bregen, capitale de l’île de Rugen. Là nous n’aurons pour manger que des carottes crues… Heureusement qu’il y a encore quelques restes dans la brouette ! Mais les kilomètres commencent à se faire sentir ! E puis pourquoi nous emmène-t-on dans cette île ??

Nous reprenons néanmoins notre marche le lendemain 26 mars à neuf heures, toujours en direction du Nord.

Nous sommes presque de suite au pied de cette longue côte pavée aboutissant au centre de la ville de Bergen qui doit être la ville la plus élevée de l’île.

Nous approchons de la mer et empruntons un isthme très étroit qui ne donne le passage qu’à la route et à une voie ferrée.

Quelques très agréables villas meublent le décor, mais pour nous, en fait de villa, ce sera encore une ferme de moyenne importance qui nous accueillera à proximité de Sagard, à dix-huit  heures… On se demande quand se terminera cette fameuse promenade sans but précis ?

Le lendemain, une fois de plus, c’est encore le départ, soit le 27 mars à huit heures trente.

Sur le coup de midi, la colonne s’immobilise en pleine nature… Nous attendons patiemment couchés dans le fossé de la route ! Puis, parcourant encore quelques centaines de mètres, nous empruntons, sur notre droite, un chemin d’importance secondaire d’où, dans quelques instants nous pourrons apercevoir au loin une foule grouillante d’uniformes kaki, parquée à proximité d’une immense remise agricole.

C’est vers quatorze heures que notre petite colonne, après comptage et re-recomptage pourra s’introduire dans ce « cirque ».

C’est là que je retrouvais mon ami Maurice Dercy qui avait abandonné sa colonne, ne pouvant absolument plus marcher.

Il faut dire que, dans les environs de Sagard, nous avions croisé une colonne dans laquelle j’ai reconnu beaucoup de gens attachés aux services intérieurs du camp de Stargard et l’un d’eux, m’ayant reconnu, m’avait dit que Dereif, souffrant, était resté en panne à Sassnitz.

Nous étions donc arrivés à Sassnitz, petit port de pêche sur la Baltique, l’agglomération se trouvant à quelques deux kilomètres de notre remise.

La vie dans cet enclos infect était déplorable !! A l’intérieur de la remise, une paille piétinée et imprégnée d’urine… car de nuit, aucun déplacement n’était possible dans ce méli-mélo d’hommes couchés les uns sur les autres. Force était d’uriner couché, dans la paille se trouvant sous soi. A l’extérieur, un ancien champ de luzerne, terre argileuse transformée en un vaste champ de boue collante. Rien pour se laver si ce n’est l’eau d’un petit ruisseau voisin où quelques uns réussissaient à se rendre… Rien à manger si ce n’est des carottes que certains s’évertuaient à faire cuire sur des braseros de fortune et malgré un vent violent… Et un quart [1] d’œufs de poissons par jour (distribution faite parcimonieusement par un abbé !). Pour compléter le tableau, des gardiens férocement zélés… dont un salopard d’adjudant !

Dés mon entrée, Maurice Dercy m’avait dépeint cette situation, en ajoutant qu’il ne pouvait plus tenir et qu’il avait hâte de sortir de ce cirque, reposé qu’il était maintenant.

Le 28 mars au matin, rassemblement général et départ de tous (sauf certains malades) pour renforcer la Wolktrum creusant des fossés anti-chars… Cela nous permit surtout de nous ravitailler en faisant un peu de troc avec de jeunes allemands travaillant à nos cotés.

Pendant notre absence une nouvelle colonne de prisonniers français était, comme la notre, venue échoir dans de bourbier. Renseignements pris, cette colonne assez imposante avait à sa tête, en qualité d’homme de confiance, un sergent-chef qui, dans le civil, était cheminot (employé au service d’architecture SNCF à Paris). Réussissant à le contacter, je lui expliquai le cas du camarade cheminot Dercy… Et d’un commun accord sur la liste d’entrée dressée par l’adjudant allemand nous avons indiqué le numéro matricule et le nom de Dereif au lieu et place de ceux d’un vulgaire inconnu… Le lendemain même cette colonne repartait, comptant dans ses hommes l’ami Maurice.

Ce jour là, 29 mars, tous les sous-officiers avaient en bloc refusé de travailler directement pour la guerre (tranchées anti-chars par exemple). Etant du nombre de ces récalcitrants, j’ai donc assisté à l’appel et au départ de Maurice, mais en même temps j’ai pu déplorer le désappointement de celui à qui il avait pris la place… Sa véhémente réclamation lui valu d’ailleurs d’être copieusement houspillé par ce « salopard » d’adjudant !

Ainsi donc, je devais séjourner dans cette remise les 29, 30 et 31 mars. Un vent terriblement violent n’arrangeait pas la situation ! Et aucune nouvelle des opérations militaires !?

Au cours des différents rassemblements, d’un commun accord, tous les sous-officiers se sont déclarés disposés à travailler pour le ravitaillement (travaux de culture notamment).

Le 1er avril au matin (jour de Pâques), ce ne fut pas un poisson d’avril quand nous fûmes tous rassemblés et bien encadrés par des soldats allemands baïonnette au canon, alors qu’un abbé se préparait à célébrer sa messe en utilisant comme autel la table d’une batteuse !! On aurait pu se demander si nous n’étions pas voués au peloton d’exécution !!!

Pas du tout ! Heureusement ! Nous reprenions, à l’inverse, la même route dans une ambiance assez confiante. Nous n’étions plus qu’une cinquantaine et nos gardiens, hors la vue de certains chefs, avaient tout de suite rengainé leurs baïonnettes.

Notre groupe s’arrête à seize heures dans une ferme un peu avant Bergen.

Nous repartons le lendemain 2 avril à sept heures pour stopper dans la soirée, toujours dans une ferme à six kilomètres environ avant Stralsund.

Nos gardiens semblaient pressés et le départ est fixé pour six heures le lendemain 3 avril. Nous vivons…  de rapines et nos quelques réserves personnelles commencent à s’épuiser. J’ai encore quelques barres de chocolat vitaminé américain que je grignote tout en marchant… Quelques rares et courtes poses… et l’étape s’avère très longue car elle ne se terminera, en effet, qu’à 17 heures à Grimmen.

Là, des cultivateurs de la région avaient été prévenus ; nous sommes donc une douzaine à monter dans un lourd chariot à quatre roues tirées par quatre chevaux – pas de place pour ma fameuse brouette. J’essayais bien d’emmener les deux roues pour pouvoir, au besoin, reconstituer un petit chariot, mais un espèce de feldwebel me força à les jeter bas.

En fin de soirée nous venons échoir dans une grosse ferme située à la sortie du village de Rarow.

Là nous trouvons quelques prisonniers belges ayant passé toute leur captivité dans cette ferme, et de nombreux travailleurs étrangers (hommes et femmes), polonais en majeure partie.

C’est le régime connu dans ce genre d’établissement, dirigé en l’espèce par un gérant, en l’absence du patron mobilisé.

La nourriture est passable et nous avons la possibilité de « cuire » dans la grande pièce qui nous a été affectée au premier étage d’une dépendance ; mais nous couchons sur la paille disposée à même le parquet de ce local.

Dés le lendemain 4 avril, à 7 heures, c’est le rassemblement à la cloche et aussitôt c’est la constitution et la répartition des équipes.

Le gérant demande en premier lieu les volontaires pour la conduite des chevaux. Les Belges m’ayant dit que la plupart du temps le conducteur était en selle, cela me parut à priori moins pénible que l’affectation aux travaux ordinaires de la ferme consistant, principalement, en ce mois d’avril, à charger et à épandre le fumier dans les champs… par n’importe quel temps ! Le tas de fumier était de taille, disons quarante mètres au carré sur trois mètres de hauteur. Le transport se faisait par wagonnet sur voie de soixante.

M’étant déclaré volontaire, on m’affecta un attelage de quatre chevaux : à l’arrière deux vieilles juments (celle de gauche ayant la selle et celle de droite le porte fouet) ; à l’avant deux plus jeunes chevaux. A noter que je n’avais à m’occuper que de la conduite au travail de cet attelage, les soins à l’écurie et le harnachement étant du ressort d’un palefrenier allemand.

C’est ainsi, qu’en ce mois d’avril, mes principales occupations consistaient tout d’abord à tirer trois rouleaux disposés en triangle sur des sillons de semis de betteraves, puis à traîner un jeu de herses dans des champs immenses ensemencés en avoine.

Ces champs hersés en diagonale faisaient quelquefois qu’un aller et retour comptait plusieurs kilomètres. De ce fait, il fallait souvent calculer sa vitesse pour dételer du coté le plus rapproché de la ferme afin de ne pas risquer de manquer la soupe de treize heures !

Des semaines passèrent ainsi, puis des chasseurs allemands vinrent souvent survoler la région, ce qui semblait inquiéter fortement notre gérant, lequel, surveillant les travaux, apparaissait assez souvent, inopinément, monté sur l’un de ses deux chevaux de course.

Quand, un certain jour, vers le 24 avril, nous commençâmes à percevoir certains bruits sourds très caractéristiques !!

[1] Il s’agit du quart métallique du soldat.

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