MEMOIRES DU MATRICULE 53177
Prisonnier de guerre au Stalag 2D à Stargard (Poméranie)
1940 - 1945

                                          

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1945 - LIBRES MAIS LOIN

Le 2 mai nous reprenons la route en direction de Neu-Brandebourg, bien décidés à ne terminer l’étape qu’à l’écart de la grande route…

Après avoir accompli une soixantaine de kilomètres, nous obliquons sur le premier clocher que l’on aperçoit dans le lointain (nous n’avions pas encore de carte et il faut noter que les poteaux indicateurs avaient été détruits et remplacés par des panneaux provisoires de direction en langue russe).

Dans ce village, apparemment désert, nous logerons chez l’ancien chef de culture du district (un salaud fini aux dires des Polonais). Aussi, dés notre arrivée, nous avions prêté main forte, de bon cœur, à ce Polonais pour tout saccager chez ce nazi… son bureau particulièrement (téléphone, machine à écrire, etc., etc.).

Nous avons pris, je crois, une journée de repos dans ce village pour attendre que les troupes russes (et les prisonniers allemands) soient un peu moins nombreux sur notre route… car il faut dire que bien des fois, nos deux chevaux faisaient envie ! Des cavaliers russes sont souvent venus leur donner quelques coups de baguette sur le postérieur à seule fin de les voir trotter. Heureusement, comme tous les chevaux de grosse fermes, ils n’étaient ferrés que des pattes de devant, ce qui n’avait pas l’air de satisfaire les Russes.

A noter aussi que les Russes excédaient dans l’art de collectionner les montres. Ils tiraient sur la chaîne, prenaient ce qu’il y avait au bout, et tout cela avec le sourire !!

La journée fut assez tranquille ; nous apercevions de temps en temps quelques soldats russes se déplaçant très maladroitement sur des vélos et faisant des « cartons » avec leurs mitraillettes dans les fenêtres ou les buissons où ils avaient aperçu une tête de femme !

Le 4 mai nous rejoignons la grande route et prenons la direction de Strelitz. J’ai maintenant une carte assez détaillée que j’ai trouvée dans le bureau que nous avons saccagé.

C’est également dans ce bureau que j’ai pu établir et relever sur mon carnet de poche un petit tableau de correspondance permettant, dans une certaine mesure, d’interpréter les panneaux russes qui, à tous les carrefours, avaient remplacé les panneaux allemands.

La seule première lettre du nom nous a en effet, souvent permis de retrouver le nom allemand correspondant indiqué sur notre carte.

Première lettre

Russe

Allemand

A

A

B

V ou W

C

S

M

M

H

N

P

R

T

T

Exemple :

Witskock en Russe débute par la lettre B

 

Tout se passe bien jusqu’à la traversée d’un bourg assez important dont la rue centrale avait été copieusement arrosée au lance flamme. Des victimes carbonisées gisent sur le seuil des maisons ; au premier carrefour nous tombons sur une femme de la police routière russe qui, impérativement, nous ordonne d’emprunter une petite rue adjacente. Nous obtempérons et finalement nous allons échouer dans les champs. Il nous fallait donc rejoindre au plus vite la grande route… quelque part après cette bourgade. C’est ce que nous réussissons à faire, non sans mal : un effort du boulet pour l’une des juments, ceci entraînant de multiples fosses dans les près. Appels réitérés d’une lointaine sentinelle russe que nous feignons de ne pas entendre…

Enfin nous poursuivons notre route pour nous arrêter dans un village non loin de Neu-Strelitz.

Départ le 5 mai au matin pour stopper à proximité de la petite ville de Mirow. C’est là que nous découvrons beaucoup de tombes russes et plus particulièrement d’officiers russes, ces dernières étant reconnaissables au piquet drapé de rouge, surmonté d’une croix à cinq branches, marquant chacune des tombes.

Le 6 mai au matin nous partons en direction de Wittskoor, mais en pleine ville nous sommes retenus par de nombreuses voitures de prisonniers qui, comme nous, essayent de joindre les Américains. Au milieu de la place centrale, nous voyons la police routière russe orienter systématiquement toutes les voitures sur une certaine rue !! et cela malgré les bruyantes protestations de tous les intéressés.

Sans trop savoir ce qui se passait j’ai profité d’un moment de flottement de cette police pour filer à l’anglaise dans la direction opposée… ceci bien tranquillement pour ne pas attirer l’attention. Mais au premier carrefour, une fois l’angle tourné, ce fut la fuite à grand renfort de coups de fouet.

Nous ne savions pas ou nous allions. La route était déserte… lorsque nous rencontrons un Français… pas comme les autres celui-là… en costume rayé.

C’était un déporté qui nous félicita d’avoir échappé au rassemblement que faisaient les Russes afin de diriger tout ce monde sur Odessa !! Nous avions eu chaud !!

Il ajouta toutefois que nous avions peu de chance de passer certaine rivière, les ponts étant tous sautés.

Qu’importe nous avons continué de l’avant et vers midi nous avons stoppé en pleine campagne, dans une baraque de pré, pour soigner les chevaux et pour nous restaurer avec des conserves.

Nous aidant de ma carte et après avoir fait une petite reconnaissance sur le terrain, nous avons quitté cette route sans issue, soi-disant, pour emprunter des chemins de terre qui, finalement, nous permirent de rejoindre notre itinéraire normal en direction de Wittskock.

Nous nous arrêterons dans une première maison non loin de la route, nous constaterons par la suite, avec une certaine appréhension, que des unités motorisées russes sont cantonnées un peu partout. Il faut dire qu’au cours de toutes ces étapes nous avons fait un peu de récupération (bottes, machine à écrire, … , vélos – pour être plus précis quatre vélos dont nous n’avions pas pu nous servir parce que dégonflés et sans pompe).

Le 7 mai au matin, ayant fait un petit tour dans la nature, j’ai pénétré dans la cour d’une ferme située en bordure d’une route, pensant trouver dans les dépendances une pompe à vélo nous permettant d’utiliser nos quatre bicyclettes au lieu de marcher comme nous le faisions habituellement pour soulager un peu les chevaux. J’avais l’impression que cette ferme était évacuée, j’avais vainement cherché. Alors qu’étant dans la cour, je fus aperçu par des militaires russes, qui me firent aussitôt signe de me joindre à eux… N’avaient-ils pas vu, de la route, une femme à l’une des fenêtres ! Je réalisais ensuite que ces militaires escortaient des prisonniers russes (leurs frères) lesquels, en attendant que ça se passe, faisaient une pose devant la ferme. Je n’eu que la ressource de profiter d’un moment d’inattention pour m’éclipser. Tant pis pour la pompe !

Sans perdre plus de temps nous partons en direction de Priswalor ; nous utilisons nos vélos après avoir purement et simplement enlevé les pneus et les chambres à air ! Le moral est au beau fixe car nous approchons cette fois de l’Elbe où nous savons que les Américains se sont arrêtés ayant, sur ce fleuve, rejoint les armées russes.

Rien de particulier ne survient et le lendemain 8 mai nous nous dirigeons sur Pelleberg que nous atteindrons dans le courant de l’après-midi. Dans ce secteur beaucoup de maisons sont évacuées et de nombreux drapeaux tricolores de fortune signalent que des français campent à l’intérieur. Nous nous joindrons d’ailleurs à l’une de ces équipes qui ne saurait à elle seule consommer le veau qui vient d’être tué.

Très bon repas dans la salle à manger jonchée de vaisselle cassée, vaisselle qu’à grand coups de balai nous avons rassemblée sur le coté de la pièce. Nos deux chevaux, bien soignés dans l’étable restée libre et les deux chariots (le notre et celui des camarades de rencontre) furent garés dans la grange, les portes restant ouvertes. Ceci est un détail qui aura toute son importance le lendemain matin 9 mai.

Alors que nous commençons à faire les préparatifs de départ nous apercevons deux soldats russes au milieu de la cour demandant sans doute à ce qu’on leur remette les deux chevaux qu’ils venaient de découvrir dans l’écurie ! Ce n’était pas ceux de mon équipe, heureusement !

Mais après avoir constaté qu’il s’agissait de deux chevaux en bien mauvais état, ils réalisèrent bien vite qu’il devait y avoir un autre attelage. Ne voyaient-ils pas en effet deux voitures dans cette grange !

Je n’avais pas le sourire lorsqu’ils insistèrent ! je dus finalement m’exécuter et ouvrir la porte de l’étable… Il fallut harnacher nos deux chevaux et ceux-ci disparurent avec le petit ruban tricolore encore attaché à la monture de leur bride !

Enfin, nous n’étions plus qu’à quelques kilomètres de l’Elbe, nous avons donc décidé aussitôt de partir sans plus perdre de temps , avec une seule voiture (la notre, parce que plus légère) et les deux chevaux de l’autre équipe… Et puis nous comptions sur nos trois vélos qui nous rendirent en effet bien service malgré l’obligation de rouler sur les jantes !

Nous cheminions sans encombres, sans nous arrêter comme d’habitude pour le casse-croûte de midi. Pressés malgré nous, nous emprunterons sur la fin du parcours un chemin de terre qui nous conduira dans les premières maisons de Wittenberg (cette ville est presque entièrement située de notre coté, c’est à dire sur la rive droite de l’Elbe).

C’est là qu’une jeune fille allemande nous renseignera sur la situation dans cette ville et surtout sur les difficultés que rencontrent les très nombreux Français pour franchir l’Elbe (tous les ponts routiers ou ferroviaires sont en effet coupés). Elle ajouta « il faudrait que vous fassiez vite car ‘mon’ Français a pu passer ce matin, mais il paraît que le bac-passeur doit s’arrêter ce soir »

La ville est occupée à la fois par les Américains et par les Russes, et un bac-passeur assure la traversée du fleuve, le machiniste est un civil allemand et à bord se trouvent un officier américain et un officier russe.

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